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Bonnie sans Clyde
Dominique Conil   En espérant la guerre
Actes Sud - Domaine français 2008 /  18 € - 117.9 ffr. / 173 pages
ISBN : 978-2-7427-7856-0
FORMAT : 11,5cm x 21,5cm

Date de parution : 02/10/2008.

L'auteur du compte-rendu : Françoise Poulet est une ancienne élève de l'École Normale Supérieure de Lyon. Agrégée de lettres modernes, elle est actuellement allocataire-monitrice à l'Université de Poitiers et prépare une thèse sur les représentations de l'extravagance dans le roman et le théâtre des années 1630-1650, sous la direction de Dominique Moncond'huy.

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Léon rêve de partir à la guerre. Non pas pour la faire, mais pour la couvrir : il est journaliste. Au lieu de cela, on l'envoie enquêter sur une affaire vieille de vingt ans, dans le Sud, près de Nîmes, un fait divers que tout le monde ou presque a oublié. Il s'agit d'interviewer Anne Valetta, celle qui, bien des années plus tôt, a suivi son amant, Pierre Livi, de Paris jusqu'à ce mas perdu appelé le Baume du Mal ; puis, lorsque celui-ci a fui un braquage qui avait mal tourné, elle s'y est installée et l'y a attendu, attendu sans fin.

Ensemble, ils avaient vécu en marginaux, dans la pauvreté, fiers de leur insoumission face aux règles impitoyables du marché du travail qu'ils observaient autour d'eux ; seuls pendant l'hiver, entourés pendant les mois d'été d'une population hétéroclite de révoltés ou d'insouciants, attirés par ce «baume» qui leur promettait réconfort et soutien. Mais «Baume du Mal» signifie en réalité «Colline du Mal» ; lorsque Pierre Livi s'est mis à braquer avec Gourvil, Anne Valetta s'est sentie peu à peu exclue, jusqu'à la disparition finale. Quand Léon rencontre Anne Valetta et la contacte pour une interview, celle-ci n'a absolument pas envie de revenir sur son histoire, ou bien même d'en faire une histoire, parmi d'autres. Mais ses jours d'attente paisibles au Baume sont comptés et l'approche de la fin va déclencher chez elle un flot de paroles.

Auprès d'elle, Léon, jeune et inexpérimenté, comprendra mieux encore pourquoi il souhaite la guerre et l'espère. Chez cette femme qui fait partie de la génération d'après-guerre, de la «guerre froide», la guerre a toujours été à la fois absente et omniprésente. Elle est celle du passé, qui hante les paysages (le chemin des résistants, qui mène au Baume) comme les mémoires ; elle est celle, plus mesquine, que la société mène contre le marginal qui en récuse les règles ; enfin, elle est celle, intérieure ou secrète, que l'on se livre entre proches ou que l'on se livre à soi-même. «Pierre disait que les guerres s'interrompent, mais ne finissent pas pour autant. Elles continuent avec d'autres moyens» (p.63). Léon prend conscience en l'écoutant que son désir de couvrir un conflit international répond à son besoin d'extérioriser la guerre intestine qu'il a toujours dû affronter.

Dominique Conil donne une idée juste et fine de ce que put être l'état d'esprit de cette génération née après le plus grand conflit survenu en Europe au tournant du XXe siècle : les guerres s'étaient déplacées sur des terres éloignées, en Afrique, aux confins de l'Europe de l'Est et en Orient ; mais les luttes continuaient, sous d'autres formes. Anne Valetta, Pierre Livi et d'autres de leur génération ont vécu pour défendre leur liberté individuelle. Quant à la génération suivante, celle de Léon ou de Carmen, la fille d'Anne Valetta, elle est plus résignée, plus passive aussi : «C'est quand même bizarre ta génération finalement il y a peu de révoltés, plutôt une génération soumise, je dirais, non ? Adaptée» (p.107). Et si Léon «espère la guerre», c'est avant tout pour retrouver une intensité et se sentir vivant.

Fasciné par cette femme forte et fidèle, il s'identifie à elle et voudrait à son tour lui parler de la disparition qui le hante. Mais Anne Valetta ne s'adresse pas à lui, elle ne se prête jamais au jeu de l'interview. «Son récit ne lui est pas destiné, elle le laisse se débrouiller avec les manques, les ellipses, ce qu'elle ne veut pas dire» (p.116). Le récit à la troisième personne alterne avec la voix du je, matérialisée par une police et une typographie particulières. L'écriture, très travaillée, se fait elliptique et traque les bribes d'une pensée intérieure par le biais de la notation. Nous suivons le fil des souvenirs d'Anne : les époques s'enchevêtrent (celle du braquage, narrée au début du roman, celle de l'interview, celle de sa jeunesse avec Pierre Livi, etc.). Le point de vue est toujours interne, suivant tantôt Léon, tantôt Anne Valetta ; la narration laisse place au discours direct, mais aussi au discours indirect libre et même au monologue intérieur, tandis que l'on ne sait plus si Anne pense à voix haute devant Léon ou bien si nous avons accès à sa pensée intérieure.

«Je trouve impossible de vivre sans un but qui nous dépasse, un but qui n'est pas nous-mêmes, là, maintenant» (p.159). Anne Valetta n'a jamais consenti à renoncer à ses espoirs et aspirations. Elle s'est pétrifiée dans l'attente et n'a rien reconstruit après la fuite de Pierre Livi, pas même avec sa fille. Elle est restée l'amante, Pénélope attendant sans fin Ulysse. Or, elle comprend en parlant devant Léon qu'elle a fini par attendre quelqu'un qui n'était plus Pierre Livi, mais un souvenir éteint depuis longtemps. Elle n'a pas vu ses espoirs anéantis, comme le Mur de Berlin s'écroulant, selon elle, avec ceux de toute une génération. Pourtant, le figuier va mourir et les bâtons de dynamite sont là. Sa fidélité se solde-t-elle par un échec ? Du moins aura-t-elle conduit Léon à se révolter (peut-être).


Françoise Poulet
( Mis en ligne le 13/10/2008 )
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