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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Peter Carey Parrot et Olivier en Amérique Christian Bourgois 2011 / 540 € - 3537 ffr. / 23 pages ISBN : 978-2-267-02149-3 FORMAT : 13cm x 20cm
Traduction d'Elisabeth Peellaert Imprimer
Deux fois lauréat du Booker Prize (en 1988 pour Oscar et Lucinda et en 2001 pour La Véritable histoire du gang Kelly), Peter Carey faisait à nouveau partie de la ''shortlist'' 2010 pour Parrot et Olivier en Amérique. Quun ouvrage soit sélectionné pour ce prix particulièrement prestigieux reflète toujours sa très grande qualité littéraire. Même si le brillant Australien na pas gagné, son dernier roman jubilatoire ne faillit pas à cette règle.
«Ce livre est né de ma lecture de luvre visionnaire dAlexis de Tocqueville De la démocratie en Amérique», indique Peter Carey. En 1831, souhaitant prendre ses distances avec la Monarchie de Juillet, Alexis de Tocqueville sollicite du gouvernement français le droit daller enquêter sur le jeune système pénitentiaire américain afin dy trouver peut-être des idées adaptables en France. Il embarque le 2 avril à bord du vaisseau ''Le Havre'' en compagnie de son ami Gustave de Beaumont. De ce voyage de neuf mois, véritable plongée au cur du Nouveau Monde, il ramènera une immense quantité de données quil synthétisera dans son célèbre ouvrage.
Parrot et Olivier en Amérique nest cependant pas une retranscription fidèle de cette aventure car, tout en respectant certains faits biographiques et historiques, Peter Carey ladapte et la réinvente à sa guise en commençant par lun de ses deux protagonistes. Si lon reconnaît Tocqueville sous les traits dOlivier-Jean Baptiste de Clarel de Barfleur de Garmont, jeune aristocrate normand, le personnage de Parrot est lui une création originale.
«On ma donné le nom de Parrot alors que jétais enfant, que ma peau était encore aussi pâle et tendre quune gorge de jeune fille et je mappelais toujours Parrot en 1793, quand Olivier de Bah-bah Garmont nétait pas même encore une lueur dans lil de son père».
De son vrai nom John Larrit, Parrot, contrairement à Olivier, ne connaît pas une enfance choyée. Fils dun imprimeur anglais épris de culture, il se retrouve très jeune mêlé à une sombre histoire de contrefaçon et dassignats que son père paie de sa vie et qui oblige le petit garçon à fuir avec lun des comploteurs, le marquis de Tilbot. Son destin semble dès lors lié à celui de laristocrate français dont lombre plane tout autant sur celui dOlivier.
Le sulfureux Tilbot est en effet fort épris de la belle comtesse de Barfleur qui, en 1831, lui demande déloigner Olivier de France. Elle sinquiète pour la sécurité de son fils qui, malgré son attachement viscéral à la noblesse, ne cache paradoxalement pas quelques sympathies libérales. Tilbot accède volontiers à sa demande et organise le départ forcé dOlivier outre-Atlantique, lui attachant les services de Parrot, particulièrement réfractaire à lidée.
Tout sépare les deux hommes au départ. Olivier ne voit en Parrot quun serviteur mal dégrossi et insolent ; quant à Parrot, il éprouve un grand mépris pour celui quil surnomme Lord Migraine. Pourtant la traversée à bord du ''Havre '' marque le début dune relation certes complexe mais qui, devenant au fil des mois de plus en plus égalitaire, sapparente à une véritable amitié. Parrot comprend peu à peu le traumatisme subi enfant par Olivier, conséquence de «lobscénité et lhorreur de la Révolution française». Inversement, ce dernier parvient à apprécier lintelligence et lérudition de Parrot, serviteur malgré lui alors que ses qualités artistiques lui auraient permis dimaginer une brillante carrière.
Chacun, par contre, analyse de manière très différente le monde quil découvre et la nature de la démocratie américaine. Si Parrot sempare du rêve américain qui offre la possibilité dune ascension sociale, Olivier reste effrayé par les dangers dune société offerte à «latroce tyrannie de la majorité» et convaincu que «lart ne peut exister en démocratie». Le débat qui les oppose demeure insoluble. Cependant, la conclusion dOlivier, écho de la pensée dAlexis de Tocqueville, résonne daccents prémonitoires.
«Oui, vous suivrez les négociants en fourrure et les hommes des bois qui seront vos présidents et qui, tels des barbares à la tête de hordes ignorant la géographie et la science, entraîneront une foule éduquée quotidiennement par une presse perfide qui rendra tous ces gens si sûrs deux et ignorants quils nauront plus dans leurs bibliothèques que des modes demploi
Jai vu ce pays dans ses premiers balbutiements. Je vais vous dire ce quil deviendra. Les places publiques seront occupées par une classe inculte incapable de réciter un vers de Shakespeare».
Cet océan dinculture que prévoyait Alexis de Tocqueville et que dénonce fermement Peter Carey ne menace pas de nos jours la seule démocratie américaine. Précisons toutefois quil nest nul besoin pour apprécier ce roman subtil et plein dhumour de faire partie «des érudits qui sauront détecter, dissimulés dans le foin des phrases, un fil conducteur, des colliers de mots qui ont été évidemment créés par le grand homme» !
Florence Bee ( Mis en ligne le 27/04/2011 ) Imprimer | | |
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