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Littérature -> Romans & Nouvelles |
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Un personnage en quête de Lauter | | | Alessandro de Roma Vie et mort de Ludovico Lauter Gallimard - Du Monde Entier 2011 / 25 € - 163.75 ffr. / 369 pages ISBN : 978-2-07-012163-2 FORMAT : 14cm x 20,5cm
Traduction de Pascal Leclercq Imprimer
Le public francophone va enfin pouvoir découvrir le premier roman du Sarde Alessandro de Roma. À trente-sept ans, ce professeur de philosophie publiait en 2007 un énigmatique Vie et mort de Ludovico Lauter qui intègre aujourdhui la prestigieuse collection ''Du monde entier'' chez Gallimard. Et cette consécration nest en rien usurpée, car la maestria narrative de de Roma sy avère demblée très aboutie.
Oserait-on situer ce récit sous légide de Pirandello ? La prémisse nest en tout cas pas sans rappeler le début de Un, personne et cent mille, où le destin du protagoniste principal basculait à cause dune insidieuse remarque formulée par son épouse au sujet dun défaut physique jusque là ignoré. Ici, cest lécrivain raté Ettore Fossoli qui décide de prouver au monde quil est capable de produire un chef-duvre rien que pour sêtre entendu demander, lors dune réception, par une vipérine Lucia : «Dis-moi, as-tu jamais fait quelque chose de sérieux dans ta vie ?» Déclic immédiat : Fossoli se retire dans une villa quasiment vide, sur la côté sarde, et se met en tête de relater la vie de son maître en littérature, limmense Ludovico Lauter, écrivain de génie dont tout le monde a perdu la trace
Un personnage en quête de Lauter, voilà encore qui a des accents très pirandelliens !
Très vite, les pistes se brouillent : est-on dans une réelle démarche biographique ou alors dans la tortueuse anamnèse dun esprit dérangé ? Quoi quil en soit, cette ambiguïté ne gêne en rien la fluidité de la lecture ; elle se situe uniquement dans le rapport apparemment fort contrarié que Fossoli entretient avec son sujet. Nous suivons donc le parcours de Lauter depuis ses origines jusquà son apothéose, en passant par ses tribulations (à Rome, Bologne, Milan, New-York
) et lévocation détaillée de chacune de ses uvres : des intrigues elliptiques, marquées par un onirisme troublant et une obsession de lenfermement, du retrait et de la soumission.
Puis la logique spéculaire du texte se révèle : celle dun puzzle qui se défait au fur et à mesure quil sélabore, comme Perec en imagina dans La Vie mode demploi. Certaines scènes relatives à Fossoli font écho à dautres, vécues par Lauter, mais toujours selon un biais, un irréductible décalage. La cohésion semble bel et bien maintenue, mais il subsiste des zones dombre dont on se dit que seul un examen rétrospectif pourra les éclaircir. Gageons cependant que quiconque reprendrait da capo ségarerait tout autant dans ce labyrinthe. La magistrale réussite du roman tient là, dans lentretien infini de son propre questionnement quant à la démarche de lécrivain, au processus des reconnaissances, à notre conception de la Vérité et de son contraire qui, comme affirmé dans le texte, «nest pas le mensonge, mais une autre vérité».
La langue de de Roma est dune remarquable souplesse, ce qui en dissimule la richesse et la complexité. On le perçoit sans difficulté à travers la traduction, exemplaire, de Pascal Leclercq. Pol Vandromme disait de Simenon quil était un écrivain russe de langue française ; par le soin quil a apporté à rendre les tonalités mouvantes et les registres émotionnels subtils de cette prose, Leclercq peut se targuer davoir contribué à lémergence dun grand écrivain français de langue italienne.
On ne peut donc quattendre impatiemment le second opus de de Roma, La Fin des jours, dans lespoir dy éprouver à nouveau létrange sentiment de son Fossoli face au révéré Lauter : «Après la lecture dun de ses romans, lorsquon détache le regard de la dernière page et quon le pose à nouveau sur le monde, on a la sensation que la réalité est en noir et blanc, irrémédiablement».
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 16/05/2011 ) Imprimer | | |
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