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Le destin brisé d’un génie
Anne-Marie Cambon   Une destination légèrement incertaine
Editions-dialogues.fr 2011 /  24 € - 157.2 ffr. / 353 pages
ISBN : 978-2-918135-35-7
FORMAT : 14,6cm x 22cm
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«Il y a dans le monde plusieurs catégories de scientifiques : ceux de second ou troisième plan qui font de leur mieux mais ne vont jamais très loin. Il y a aussi ceux de premier plan, qui font des découvertes importantes, fondamentales pour le développement de la science. Mais il y a enfin les génies, comme Galilée et Newton. Ettore était l'un d'entre eux. Majorana avait quelque chose que personne d'autre au monde n'avait. Malheureusement il manquait d'une qualité généralement répandue : le bon sens» (1938 - Enrico Fermi).

En septembre 2011, le grand public prend conscience qu’il y aurait une vitesse supérieure à celle de la lumière. La une des médias révèle les résultats de l’expérience OPERA et l’existence du neutrino. Au début du XXie, un homme, doué d’une intelligence «décourageante, comme un mur invisible entre lui et les autres», domine le bouillonnement et l’effervescence intellectuelles des mathématiciens et des physiciens de talent. Cet homme qui semble parler la langue mathématique de cet invisible atomique, c’est Ettore Majorana.

C’est le destin étonnant de ce physicien de génie qu’Anne-Marie Cambon nous invite à découvrir. Elle a interrogé ceux qui ont croisé Ettore Majorana ; scientifiques, philosophes ou journalistes, ils n’ont jamais oublié la fascination qu’il exerçait sur eux. A partir du matériau recueilli, elle retrace la fin de vie énigmatique à travers le personnage d’un enquêteur américain qui part à sa recherche. Son roman se base sur des faits et documents (lettres, articles,…) et note le décalage qui existe entre l’expression de son génie et la réalité quotidienne et sociale qui l’entoure.

Ainsi, tout jeune scientifique, passionné par l’électrodynamique quantique et par l’interaction entre lumière et matière, sur l’insistance de Segrè (futur colauréat du Nobel de physique 1959), il entre en 1928 dans le très élitiste institut Panisperna de Rome dirigé par le célèbre Pr. Enrico Fermi (Nobel de physique (1938), médaille Hughes (1942), médaille Franklin (1947) et prix Rumford (1953)). A son arrivée, Fermi est en train de s’acharner à calculer depuis 8 jours, sur une machine, une équation non linéaire. Ettore observe, ne dit rien, rentre chez lui et revient le surlendemain confirmer à Fermi que son calcul est bon : il avait transformé l’équation différentielle non linéaire de second ordre de Fermi en une sorte d’équation de premier ordre d’Abel qu’il avait résolue… de tête… en «inventant» au passage une méthode pour passer de l’une à l’autre. Cette lecture immédiate de la nature des choses à toujours grandement impressionné Fermi. Les cours sont complètement superflus pour Ettore mais restent cependant un lien social et une sphère de dialogue salutaire où il peut encore trouver à qui parler sur un pied d’égalité.

Il est estimé des plus grands physiciens, notamment Heisenberg, l’un des fondateurs de la mécanique quantique (Nobel 1932). Durant le premier semestre 1933, Ettore part à Leipzig chez Heisenberg, puis au Danemark voir Bohr et revient en Allemagne. Mais Heisenberg, pourtant conservateur et nationaliste - qui tente aussi de protéger Max Born (Nobel 1954) - devient pour la «science allemande» un représentant de la «science juive»… Or, pendant ces six mois où il se trouve en Allemagne, Hitler prend le pouvoir, les élections et l’incendie du Reichstag défraient la chronique, et jamais la situation n’inquiète Majorana, l’Allemagne restant à ses yeux un pays pacifiste à l’économie florissante (depuis le départ des Juifs). Dans cette complexité raciale, Ettore se perd ; sans être raciste, il accepte les préjugés de son milieu. Tâche noire dans le parcours de cet homme à la lucidité phénoménale, mais peu doué pour une compréhension sociale. Ironique et impétueux dans ses jugements, il n’hésite pas, à la lecture d’un article d’Irène et Frédéric Joliot-Curie, dont il saisi immédiatement le sens (avant eux !!), à les traiter de stronzi (con) parce qu’ils «n’ont pas compris qu’ils ont trouvé le proton neutre» dont Ruherford douze ans plus tôt avait émis l’hypothèse. Devenu pratiquement agoraphobe, Ettore ne trouve refuge qu’à Panisperna, là où il peut encore être accepté par ses pairs parce qu’on le connaît bien au-delà de ses sarcasmes et parce que sa manière de rendre accessible ce qui est incompréhensible fascine et éblouit les physiciens.

Mais l’été 1933 marque le début de son étrange maladie. Les derniers mois, sa famille le voit s’éloigner de l’expression de son génie et de la vie normale : il peine à manger, ne sort plus et oublie de se couper les cheveux. En 1937, la grande Histoire le rattrape : l’arrivée du fascisme oblige Fermi et Segrè à fuir l’Italie et l’institut Panisperna éclate. Ettore va perdre ses derniers amis, ceux qui pouvaient le comprendre, ou du moins l’écouter (car, même pour eux, ses théories étaient hors de portée).

Que s’est-il passé ensuite ? Alors que ses découvertes sur les neutrinos sont au cœur de la physique moderne, pourquoi cet homme si généreux de son savoir a-t-il gaspillé ce don ? Agoraphobe, s’est-il retiré dans des monastères ou a-t-il profité d’un réseau pour fuir sa famille ? Dans quel désespoir de théoricien s’est-il enfermé, isolé ? S’est-il suicidé à l’instar de Bolzmann, père fondateur de la physique statistique, mais incompris de ses contemporains ? Face à l’incompréhension, face à l’impuissance de démontrer «ses» neutrinos, face à l’équation de Dirac, à t-il choisi de s’échapper ?

A travers le prisme historique de la barbarie quotidienne de cette époque, Anne-Marie Cambon essaie de retracer l’état d’esprit qui a précédé la disparition d’Ettore Majorana. Elle apporte un éclairage intéressant sur une période historique confuse propre à organiser des réseaux en tous genres, y compris de fuite vers l’Amérique latine, et a le mérite de mettre en lumière un des plus grands physiciens contemporains qui a su donner à la symétrie un rôle prégnant dans la physique moderne. Et… qui a décidé un jour de partir pour «une destination légèrement incertaine».


Marie-Claude Bernard
( Mis en ligne le 30/11/2011 )
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