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| Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Melisse .J Rose Lip Service
Ramsay 2001 / 18.17 € - 119.01 ffr. / 326 pages
ISBN : 2-84114-477-1
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Dire que les apparences sont rarement en accord avec la vie intérieure d'un individu relève du lieu commun Affirmer qu'être fille et épouse de psychiatre, comme Julia Sterling, la narratrice de Lip Service, prédispose aux névroses en tout genre aussi. Pourtant, de la rencontre de ces deux clichés est né un roman passionnant et remarquablement bien construit.
Julia, donc, femme séduisante approchant de la quarantaine, est mariée à Paul Sterling depuis une quinzaine d'années. Paul, qui jouit d'une renommée sans tache et d'un charisme qui fascine immanquablement ceux qui l'approchent, mène une vie mondaine très active. Julia, silhouette élancée coulée dans de superbes robes Armani, assiste sans faiblir à tous ces dîners organisés par son mari. Mais alors qu’elle continue de dispenser des compliments aux hôtes de Paul et à entretenir avec eux des conversations pleines de tact, Julia éprouve le sentiment, de plus en plus prégnant, de n'être rien autre aux yeux de Paul qu'un ornement fragile, sans consistance, dont la santé mentale ne tient qu'au fil des antidépresseurs qu'il lui prescrit.
Survient alors Sam Butterfield, fondateur d'un institut de sexologie, qui lui propose un jour de l'aider à rédiger une étude sur le rôle thérapeutique des jeux sexuels dans la vie des couples. Aurait-il deviné, derrière la façade d'or et de marbre du palais, les vastes pièces laissées à l'abandon ? A l'écouter parler, réciter un poème au cours d'un dîner, Julia se sent percée à jour ; atteinte au fond d'elle-même, là où sommeillent des zones obscures qu'elle n'a jamais explorées mais qui laissent sourdre, de temps à autre, de vagues réminiscences lui rappelant sa vie d'étudiante et la grave dépression qu'elle a alors traversée.
Les paroles de Sam suivent de secrets méandres, et Julia décide de collaborer avec le sexologue. Contre l'avis de son mari. Ce qui confère à sa décision un caractère capital: en agissant de son propre chef, sans recevoir l'aval de Paul, elle brise cette "loi du père" qu'il incarnait si bien et dont il avait édicté les articles à coup de surprotection, de préceptes de bienséance et de médicaments. S'affranchir ainsi d'une autorité davantage paternelle que conjugale attise les craintes de Julia, mais en même temps lui donne conscience de sa valeur, de sa force. Elle commence à grandir ; mais elle souffre encore de la présence en elle d'une entité qu'elle perçoit comme une protubérance gênante, "la mauvaise Julia" qu'elle était à l'université et qui "consommait" les mâles sans vergogne avant de connaître les affres de la dépression.
C'est donc bien d'un compte à régler avec sa sexualité dont il s'agit. Travailler pour Sam l'oblige à devenir, temporairement, "thérapeute sexuelle par téléphone", et c'est en même temps son propre parcours thérapeutique qu'elle va entamer. En aidant des patients à explorer leurs fantasmes, ce sont les siens qu'elle apprend à cerner puis à accepter. Les mots qu'elle prononce sont aussi une thérapie pour elle ; ils lui ouvrent peu à peu la voie d'une sexualité assumée, d'une sensualité retrouvée et, à terme, d'une reconstruction.
Ces longues conversations téléphoniques engagées dans un cadre thérapeutique, ces abandons complaisants au plaisir solitaire qu'elles entraînent et la plénitude ainsi trouvée laissent une étrange impression de négation de l'autre, de communication faussée, de mensonge. En cela, Lip Service peut sembler bien pessimiste. Mais il faut garder à l'esprit que ces mises en scène, ces distanciations ne sont en aucun cas des fins en soi ; ce sont les étapes d'un parcours ardu dont le terme, simplement suggéré, est laissé à l'appréciation des lecteurs.
Nombreux sont, dans ce roman, les éléments chargés de signification; les perches psychanalytiques tendues abondent, et l'on est certes tenté de saisir à pleines mains la symbolique de ces orchidées cultivées avec un soin jaloux ou le substitut sexuel que semble représenter, pour Paul, la télécommande de la télévision. Mais l'objet du livre n'est pas de traiter des multiples déviances sexuelles ni des distorsions plus ou moins creusées de l'âme humaine. Il s'agit simplement d'une tranche de vie, coupée au vif dans l'existence d'une femme au moment précis où celle-ci rompt avec l'obéissance passive qu'elle vouait à son mari pour découvrir les pans secrets de sa sensualité et s'épanouir enfin.
Avec un art consommé de la scansion du récit, coupant chaque chapitre à un instant crucial de la narration, Melisse J. Rose entraîne ses lecteurs à la suite de Julia, leur ouvrant tout grand l'esprit de son héroïne par la grâce d'un "je" habile. Lip Service retrace un parcours difficile, où à tout moment ressurgit l'angoissante question "Qui suis-je ?". Mais le livre demeure résolument optimiste puisque Julia, en tant que thérapeute, se soigne elle-même et l'épilogue, sans affirmer comme posée la sérénité de la jeune femme, la laisse deviner comme évidemment à venir.
Isabelle Roche
( Mis en ligne le 12/03/2001 )
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