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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Francisco Goldman Circuit intérieur Christian Bourgois 2015 / 20 € - 131 ffr. / 400 pages ISBN : 978-2-267-02743-3 FORMAT : 12,0 cm × 20,0 cm
Guillemette de Saint-Aubin (Traducteur) Imprimer
Francisco Goldman, romancier et journaliste, guatémaltèque par sa mère et juif américain par son père, a partagé les vingt dernières années entre New York et Mexico. Le titre fait référence à lautoroute qui entoure le cur de Mexico, mais aussi à la boucle de douleur intérieure que ressent lauteur depuis la mort accidentelle de sa jeune épouse, Aura Estrada, dans un accident de surf en 2007.
Le texte décrit dans la première partie sa tentative de revivre à Mexico sans Aura, une redécouverte thérapeutique de lendroit où étaient son cur et sa maison. Il commence par prendre des leçons de conduite car il na jamais conduit dans cette mégapole de tous les excès routiers, projet métaphorique pour reprendre le contrôle de sa vie, cinq ans après le drame. Il se fie au Guide Roji, bible et atlas infiniment détaillé d'un cité de vingt millions dhabitants. «Mais javais formulé lidée que le projet de conduite avait quelque chose à voir avec ma relation à Mexico, la ville dAura, celle où elle était morte, le lieu qui contenait ses cendres et qui maintenant de ce fait était devenu mon lieu sacré et mon foyer plus quaucun autre ne lavait jamais été» (p.20).
Le vrai sujet du livre est la ville elle-même, omphalos économique et politique d'une immensité déroutante, tentaculaire, et d'un dynamisme tumultueux. Son gigantisme l'a largement protégée d'un narcotrafic endémique dans le reste du pays, ce depuis des années, alors que la bataille entre les autorités et les cartels a vu se multiplier les disparitions et les exécutions sommaires.
Lauteur raconte simplement cette nouvelle vie, avec ses contraintes matérielles - se loger dans cette jungle urbaine - et ses plaisirs : manger dans les «cantinas» ou discuter longuement avec les amis, ceux qui ont connu Aura et les nouveaux. Il observe en journaliste les évolutions politiques successives. De véritables reportages, très vivants, alternent avec lapprentissage de la conduite et les passages poignants sur labsence définitive de son épouse.
Francisco Goldman explore aussi de façon précise le rapport des Mexicains à la mort : «un beau jour quelque part, probablement dans le Sud, des villages indiens se mirent à adapter la Toussaint et le jour des morts à leurs propres croyances conservées en secret. Le jour des Morts est une fête nationale» (p.137) ; les vivants dressent des autels un peu partout et vont pique-niquer sur les tombes de leurs chers disparus en faisant la fête. Les Mexicains sont-ils pour autant plus à laise avec la mort que nous ?...
La deuxième partie du récit, «After Heavens», est une enquête sur la disparition dun groupe de jeunes gens qui sortaient dune discothèque. On peut rapprocher cette étude des disparues de Juarez ou plus récemment des quarante-trois étudiants enlevés et retrouvés dans un charnier, ce qui a mis le feu au pays.
La capacité de Goldman à combiner la compréhension de son deuil personnel avec la tragédie nationale fonde ce récit toujours en mouvement, à la fois chronique du contemporain et journal intime. Ces deux pans de la réalité se confondent parfois ; le chemin de la rémission est long. On regrette simplement que Circuit intérieur sonne parfois comme un atlas routier.
Eliane Mazerm ( Mis en ligne le 27/04/2015 ) Imprimer | | |
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