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Ordinaire, trop ordinaire
Laurent Laurent   Chantier, j'écris ton nom !
Seuil 2001 /  11.45 € - 75 ffr. / 150 pages
ISBN : 2-02-041935-1
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Laurent Laurent. Il vaut la peine de s'attarder un instant sur la redondance. Où est le nom, où est le prénom ? Qu'est-ce qui se trouve avant, qu'est-ce qui se trouve après ? Le titre des ouvrages n'a même pas encore défilé devant vos yeux que déjà l'auteur brouille les pistes. Un jeu où il excelle à vrai dire depuis belle lurette. Il est comme ça, Laurent Laurent. Vous me direz qu'on s'en fout et que ce qui compte, c'est la teneur desdits ouvrages ? Certes. Mais enfin, n'oubliez pas ce qui vient de vous être signalé avec prévenance : la logique parasitaire n'est pas étrangère à ce sieur écrivain, qui n'aime rien tant qu'à ficher une pagaille monstre là où ronflait l'Ordre l'instant d'avant.

Son sens inné du désordre pugilistique, Laurent Laurent le met en scène dans la société qui a le malheur de le recruter. Suivront Six mois au fond d'un bureau dont c'est peu dire que d'indiquer qu'ils déclenchent ardemment le rire. Tout dans le personnage (qui porte sans complexe son propre nom) évoque pourtant le calme, la volonté de "buller" à l'infini. Mais il semble dans ces divers opus que la liberté et la marginalité rimant souvent avec galère lassent l'impétrant qui veut manger de la "structure", tâter du fonctionnel. Pour la même raison, notre héros délaisse son dilettantisme légendaire dans Chantier, j'écris ton nom ! avec l'intention louable de construire enfin quelque chose de solide en restaurant son propre appartement. S'affronter à la matière, se mesurer aux matériaux les plus divers, voilà bien qui instillera un brin de violence dans un quotidien mollasson.

Notre maçon-plombier de pacotille évoque alors à coups de masse la magie du monde ouvrier, s'en prend au camps fascistes et aux oreilles sales des cockers (que ces merveilleux chiens lui ont-ils donc fait dans sa jeunesse pour qu'ainsi il les vilipende ?). Dénonce également l'hypocrisie hygiéniste de ses contemporains. Mais les choses résistent et, respectueux de son habitude, Laurent Laurent, épigone parlant de Deburau et de Buster Keaton, provoque catastrophe sur catastrophe.

Six mois au fond d'un bureau représente la version groupale de l'incapacité foncière du personnage à ne pas déranger ce qui est. Car l'insouciance viscérale incontrôlable du nouvel arrivant a ceci de corrosif qu'elle déteint, cauchemar prophylactique, sur ses voisins. Même s'il apparaît, au cours d'une réunion et contre toute attente, que Laurent Laurent est un zélé prosateur, le réassort des fournitures, la sempiternelle langue de bois et autres contradictions inhérentes au Système auront raison de ce révolté qui se sacrifie pour ceux avec qui il est enfermé entre quatre murs.

Tel est le prix à payer pour celui qu'obnubile la maxime qui surgit dans Pour en finir avec la papeterie : "Un bureau, c'est posséder tout"! En témoignent la bataille à l'élastique cinglant -ou celle à l'extincteur, autrement plus efficace- qui explose tant l'exigence de "qualité totale" que le "contexte libéral de progrès" ambiants. Mais aussi les ubuesques "missions" de notre anti-émoulu congénital (jamais réaliser des photocopies n'a paru aussi désopilant), les accidents de cantine, les guerres rangées entre service commercial et unité de production. "Si nous sortons du système, nous sommes fichus, c'est impossible" martèle un magasinier obtus, antitype par excellence de notre employé libertaire. Le pot de départ qui clôt Six mois au fond d'un bureau est ainsi un pur moment d'anthologie, qui voit les non-cadres overbookés par leur j'menfoutisme et leurs luttes quasi médiévales littéralement "péter les plombs".

A l'obsession cartographique de l'auteur, dont les textes abondent de plans aussi minutieux que superfétatoires, s'ajoutent des phantasmes récurrents de gérontophilie. Une tendance qui ne se profile pas que sur le papier et qui atteint son acmé dans Pour en finir avec la papeterie, parangon de l'ineptie laurentlaurentienne à soumettre d'urgence à tous les professionnels des fournitures et du papier. Un texte où fidèle à sa devise, "il est plus difficile de ranger que de mettre le bazar", notre homme "ordinaire, trop ordinaire" s'offre un film schizo grandeur nature à propos des recharges d'un d'ores et déjà mythique stylo BIC quatre couleurs -ce qui ne l'empêche pas de rendre un vibrant hommage aux crayons de papier 4B/5H, ce dernier "labourant le papier comme Romulus traçait l'enceinte de Rome". Entre abus sexuel et troubles psycho-digestifs, un hilarant vol d'agrafeuse achève alors dans l'esprit du lecteur la confusion entre rêve et réalité.

On vous avait prévenu : sans crier gare, vous êtes arrivés au coeur du cyclone. Encore convient-il d'observer que cette tornade psychologique est constamment alimentée par une philosophie Monsieur Propre plus subversive qu'elle ne s'en donne l'air : la tendresse de certaines pages atteste de la fine connaissance des mécanismes des corps (humains, sociaux, d'entreprise.) que détient Laurent Laurent. Un sens des détails vaillamment mis à contribution dans une charge ironique, moins gratuite que pointue, contre les points névralgiques de la société (entendue à tous les sens du terme). D'un tel passage au crible de La vie de bureau..., il ressort une nostalgie empreinte de sociologie. Des trois textes, Chantier, j'écris ton nom ! est le moins abouti, le plus facile, peut-être. Mais il est porté par les deux autres au rythme d'un sabbat convulsif qui balaie joyeusement les miasmes de la médiocrité.

Il existe pour le critique de multiples manières soutenues destinées à faire comprendre aux lecteurs l'estime qu'il porte à une oeuvre. Comme Laurent Laurent incarne désormais l'apôtre de cet oxymoron : la franchise littéraire, par souci de mimétisme aussi évident que vital on vous dira ici les choses sans chichis, mâtinées d'un zeste de parler-jeune-tendance: quand on lit les bouquins de ce Jean-Foutre du gai savoir, on se marre grave. Et on apprend beaucoup. Cela devrait vous suffire.


Frédéric Grolleau
( Mis en ligne le 01/03/2001 )
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