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L'héritage du silence
Alice Zeniter   L'Art de perdre
Flammarion 2017 /  22 € - 144.1 ffr. / 512 pages
ISBN : 978-2-08-139553-4
FORMAT : 14,5 cm × 22,0 cm
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. «Dans l'art de perdre il n'est pas dur de passer maître», la première phrase d’un poème d’Elizabeth Bishop (1911-1979), fournit un beau titre au superbe roman d’Alice Zeniter. 506 pages fort bien écrites, qui se lisent d’une traite.

Une voix (celle de la romancière narratrice ?) conte l’histoire de Naïma, de son père Hamid, de son grand-père Ali. Trois générations, un récit qui se situe aujourd’hui mais remonte le temps jusqu’aux années 1930, en Kabylie, à l’époque de la célébration du centenaire de la conquête de l’Algérie. Alice Zeniter entraîne le lecteur dans l’histoire d’Ali et de sa famille.

Première partie : «L’Algérie de Papa» (en exergue la phrase de Charles de Gaulle : «L’Algérie de Papa est morte»). Dans cette ''Algérie de Papa'', Ali est un jeune kabyle pauvre, qui va savoir reconnaître la chance qui s’offre à lui, sous la forme d’un pressoir à huile dérivant dans un torrent. Enrichi, chef de famille respecté, il a fait la Seconde Guerre mondiale dans l’armée française, a survécu à la terrible bataille du Mont Cassin, et vit dans son village de montagne, descendant à la ville proche (plutôt une bourgade…) pour gérer ses affaires et participer à l’association des anciens combattants des deux guerres. Deux mariages - mort de sa première épouse, mariage heureux avec la seconde, Yema, aussi minuscule qu’Ali est grand. Au village : une famille rivale : les Amrouche. Dans cette vie banale l’Histoire s’invite : la guerre, les choix à faire, le FLN pour les Amrouche.

Ali croit à la force des Français. Il va faire partie du camp des perdants… doublement perdant, fuyant avec sa famille en 1962 pour débarquer à Marseille, dans une France qui ne reconnaît pas ceux qu’elle nomme globalement des «harkis» (alors que les réalités sont très diverses), et qui sont ballotés de camp en camp (il est rare que ce sujet soit abordé dans sa quotidienneté…). Ali subit en silence humiliations et infortune, avant de s’ancrer avec sa famille dans une cité près de Flers, dans une Normandie pluvieuse et grise ; avec d’autres déracinés, il travaille à l’usine, travail machinal, sans espoir de promotion, sans intérêt.

Ali est dépossédé, dépossédé de ses terres, de son pays, de son rôle de patriarche écouté et respecté. La famille compte désormais dix enfants, dont l’aîné est Hamid, héros de la seconde partie, «La France froide». Hamid, l’élève brillant, qui ne s’autorise pas à aller plus loin qu’un poste de fonctionnaire, époux de Clarisse, père de quatre filles et muet sur le pays natal, dans lequel il refuse de retourner.

Naïma est celle qui transgresse : «Paris est une fête» est le titre de la troisième partie. Naïma refuse le statut de la femme traditionnelle, à jamais partagée entre tradition kabyle (les pâtisseries et le miel de la grand-mère Yema) et l’héritage français des grands-parents maternels ; elle refuse d’être enfermée dans un rôle et cherche à comprendre l’itinéraire de sa famille paternelle, alors que les voix sont inaudibles : Yema ne parle que le kabyle et Naïma ne comprend pas ; Hamid se ferme dans un silence absolu ; Ali est mort depuis longtemps sans jamais parler, lui non plus. Cet héritage du silence, rompu par quelques liens fragiles avec la famille restée au pays, Naïma veut et ne veut pas le rompre… Mise au pied du mur par le galeriste chez qui elle travaille, elle rencontre un vieil artiste algérien et va devoir aller au pays chercher des œuvres pour une rétrospective. Confrontation aussi avec son identité, ce qu’elle ressent et ce que les autres voient en elle…

Ce résumé rapide du livre ne dit que peu de choses sur la richesse des personnages qu’Alice Zeniter construit par petites touches, les personnages principaux, mais aussi les personnages secondaires qui apparaissent fugitivement : gamins des camps, voisines de HLM, paysans kabyles, soldats français, etc. Soixante ans d’histoire se déroulent, vus sous l’angle de l’anonyme, de l’individu ballotté dans des courants qui le dépassent, contraint à faire ou à subir des choix, que le vocabulaire courant, l’opinion, la société inscriront ensuite dans le définitif.

Un très beau livre sur la guerre d’Algérie, la mémoire, le sort des perdants qui avaient cru en la France et sur lesquels on se penche rarement, en tout cas rarement ainsi, dans un roman qui évite le pathos et approche la complexité des êtres et des situations. Une réflexion aussi sur les générations qui suivent, leur rapport aux deux pays, l’Algérie des rêves et la France du quotidien, les retours, les allées et venues. Un récit sur la transmission, la transmission volontaire et celle qui surgit, inattendue…

Un des beaux romans de la rentrée littéraire, déjà récompensé par le prix littéraire du Monde. Alice Zeniter, quoique jeune romancière (elle est née en 1986 à Alençon), a déjà reçu plusieurs prix pour ses précédents romans : le prix du livre Inter pour Sombre dimanche (2013), et le prix Renaudot des lycéens pour Juste avant l’oubli (2015).


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 27/09/2017 )
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