|
Littérature -> Romans & Nouvelles |
| |
Des objets, des êtres, de l’existence | | | Edward Carey L'Observatoire Phébus - D'aujourd'hui étranger 2002 / 21 € - 137.55 ffr. / 400 pages ISBN : 2-85940-781-2
Traduit de l'anglais par Muriel Goldrajch Imprimer
Le narrateur sappelle Francis Orme. Cest le "je" du texte mais il lui arrive de parler de lui à la troisième personne. Un peu à la manière des enfants. Comme eux, il dit "papa" et "maman" en évoquant ses parents. Francis Orme a trente-sept ans. Un adulte dont les mots et les gestes ont souvent la perversité naïve de lenfance. Dune écriture simple, Francis s'improvise chroniqueur du manoir de lObservatoire dès qu'est annoncée larrivée dun nouvel habitant. Se dévoile alors un univers assez malsain où un musée de figures de cire embauche des êtres humains pour simuler des mannequins, où un portier vit à la cave tel un individu honteux dont il ne faudrait rien savoir, où lon croise une femme amnésique persuadée quelle est un chien, un précepteur à la retraite qui sue et pleure sans cesse, un homme qui aspire à limmobilité absolue, Francis, enfin, qui monte une exposition dobjets les plus divers soigneusement dissimulée dans un recoin de la cave et quil est seul à visiter.
Univers étrange donc où les humains semblent toujours hésiter entre le vivant et linanimé, où les objets semblent pourvus de vie ou du moins induisent des systèmes de signes où sont circonscrits ceux qui les ont possédés. De même, le texte flirte sans cesse avec le récit tout en sécartant constamment de ses implications formelles, avec ces listes, ces énumérations, ces séquences narratives agencées de telle sorte quelles ressemblent à des étiquettes apposées sur des moments-objets dont elles détaillent le contenu. Et, tandis quun dénouement des plus classiques met un terme à la narration proprement dite, le texte sachève sur la liste ultime, la liste exhaustive des neuf cent quatre-vingt-seize objets dont se compose "lexposition damour de Francis Orme".
A travers tous ses personnages Edward Carey semble avoir convoqué tout ce que lesprit peut compter de fantasmes, de hantises, de souvenirs et daffects traumatisants. De fait, le manoir de lObservatoire apparaît comme la métaphore de linconscient humain, où chaque instant vécu et sa charge émotionnelle sont bien rangés, ordonnés dans des cases, sous des formes parfois peu avouables, et prêts à resurgir à la moindre occasion. Le texte entier peut alors se lire comme une métaphore de la démarche analytique : comme larrivée dAnna Tap dans le manoir bouleverse peu à peu la vie des résidents - par le biais de "lEre des souvenirs", référence transparente sil en est - lintervention du thérapeute perturbe le psychisme de lanalysé afin de briser les cadres oppressants des symptômes dont il souffre.
Remarquable tant par sa forme, à la fois lisible et suffisamment complexe pour ne pas trahir tout de suite sa signification profonde, que par son argument, LObservatoire est une construction littéraire brillant dun rare éclat.
Isabelle Roche ( Mis en ligne le 12/03/2002 ) Imprimer | | |
|
|
|
|