| Alex Wheatle Redemption Song Au Diable Vauvert 2003 / 16.50 € - 108.08 ffr. / 360 pages ISBN : 2-84626-046-X Imprimer
1981. Sud de Londres. Brixton. La Dame de Fer lamine les exclus. La politique sociale est au point mort. Le chômage flambe. Le racisme est ordinaire. Communauté jamaïcaine, seconde génération. Biscuit, 18 ans, traîne ses guêtres entre sa mère Hortense, sa sur Denise et son petit frère Royston. Il vivote grâce au deal dherbe et à quelques cambriolages. Traîne avec ses copains, Bouille-de-cercueil, Sceptic, Floyd et les autres. Fréquente assidûment les soirées, où le rap commence à bouillir des enceintes. Croise quelques skinheads, mouvement en émergence. Est amoureux de Carole, une fille de bonne famille «intégrée». Se frotte aux caïds locaux, dont la violence monte en puissance. En vendant sa came, ladolescent peut aider sa mère à faire les courses et sa sur à acheter les dernières tenues à la mode.
A la façon dun Ken Loach version ragga, Alex Wheatle, DJ londonien, décrit les tribulations de son jeune héros à travers les décombres de la chienlit sociale, sans aucun misérabilisme. Au fil des pages, la spirale de lexclusion chômage, ennui, ghetto, violence est assénée au lecteur. Lavenir, pour Biscuit et ses ompères ? Un horizon gris. Le boulot ? Il ny en pas. Les études ? Pas pour lui. Et la religion dans tout ça ? Des «marchands de frousse», qui intoxiquent les gens. Pourtant, et cest là le tour de force du roman, Wheatle arrive à insuffler à ses personnages, quil dépeint avec une grande tendresse, une énergie quasiment sacrée. Car, entre deux vols de matos hi-fi, trois pétards et quelques passages à tabac, Biscuit et les autres aspirent évidemment à autre chose. La révolte du ghetto gronde, amplifiée par lénergie conjuguée des sound systems londoniens et celle des vieux sages, gardiens des racines et de lidentité culturelle : «À gorge déployée, chantez, car les glorieuses écritures annoncent / Notre rédemption triomphante / Ne cédons pas, car loppresseur ne trouvera pas de répit / Dans les tables du jugement / Marchons fièrement, le chemin a été tracé par les martyrs / Pour légalité des droits».
Pour ne rien gâcher, lécriture est nerveuse, urbaine, poétique, une prose en mutation pourrait-on dire, à limage du contexte social décrit ici. La trame narrative de louvrage prend en effet comme toile de fond les émeutes de Brixton, qui opposèrent violemment la communauté jamaïcaine et les forces de police, en mai 1981. Louvrage se termine également sur la mort de Bob Marley, «le Gong», prophète absolu de cette génération désenchantée. Cette omniprésence de la scène musicale noire dans le roman est dailleurs tout à fait passionnante et à contre-courant des idées reçues. Cest en effet la révolte des Jamaïcains et plus généralement celle des immigrés noirs en Grande-Bretagne, déjà en germe depuis la fin des années 70 , qui donnera naissance au rap, mais fascinera également les jeunes blancs et initiera des
mouvements musicaux comme le ska ou le punk. Redemption Song se situe tout juste à cette croisée sociale, culturelle et politique de lAngleterre du début des années 80, avec, pour ne rien gâcher, des trouvailles stylistiques assez jouissives, égrenées ça et là : «Ses dreadlocks lui arrivaient à la base du cou et son visage ressemblait à une carte routière indiquant le chemin le plus court vers la diablerie.» Une leçon dhistoire. Et une leçon décriture.
Caroline Bee ( Mis en ligne le 23/06/2003 ) Imprimer | | |