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Une quête ontologique
Oliver Rohe   Défaut d'origine
Allia 2003 /  6.10 € - 39.96 ffr. / 158 pages
ISBN : 2844851274
FORMAT : 10 x 17 cm
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Si un livre était une boutique, dont on pousse la porte au hasard, la devanture de Défaut d'origine provoquerait sans doute les réactions suivantes : curiosité inquiète d'abord, devant la vitrine opaque — un petit format dense, à la couverture noire comme l'ébène. Perplexité ensuite, à la lecture de l'enseigne, dont la signification intrigue. Au jeu des suppositions, on se prend vite à trouver de multiples combinaisons possibles. Défaut d'origine : Défaut pour manque. Manque d'origine : absence de patrie, caractère apatride ; Défaut, pour mauvais : mauvaise origine : pas né au bon endroit. Origine, pour naissance ; défaut de naissance : manque originel, caractère congénital et incomplet de l'être. Alors, on entre, autant pour valider ces hypothèses sémantiques que dans l'espoir d'un autre sens qui nous aurait échappé. Plus la visite des lieux se prolonge, plus on réalise qu'il y a effectivement un peu des trois dans ce livre insolite, plus proche de l'essai que du roman.

Atypique dans son propos — une réflexion incisive et originale sur la condition humaine — Défaut d'origine l'est aussi dans sa forme. Le narrateur, un certain Sedler (mais n'est ce pas tout simplement l'auteur lui-même ?), entreprend un voyage en avion vers son pays d'origine, quitté dix ans plus tôt. Tandis que le vol se déroule, Sedler disserte en profondeur sur ce qui fonde l'identité. Sa réflexion s'organise autour de quelques thèmes majeurs, abordés les uns après les autres. La patrie d'abord, et plus particulièrement la patrie en guerre (guerre civile perpétuelle), dont l'évocation, quoique universelle ici, fait immanquablement penser aux comptes rendus de la guerre en Yougoslavie. La famille ensuite, ou plus précisément, la relation mère-fils, qui implique l'exclusion du père. La langue enfin : langue maternelle, principe structurant de l'individu, dont l'oubli devient le seul moyen d'effacer son origine.

Non content d'introduire dans son propos une distance romanesque «classique» en se faisant représenter dans le livre par le narrateur, Oliver Rohe décale encore d'un cran le lien avec le lecteur, instaurant un étrange jeu de miroir, une sorte de billard à trois bandes : car Sedler n'est lui-même que le porte-voix plus ou moins conscient d'un certain Roman. Et à travers lui, ce sont en définitive les pensées de Roman que Rohe nous livre. Faisant coïncider la forme (je suis un autre qui lui-même est un autre) avec le fond (la question essentielle de l'identité). L'auteur, d'ailleurs, tombe le masque à mi-parcours (p. 96 à 98). Il reconnaît explicitement l'imposture dans le discours de Sedler, que le lecteur lui, a déjà déjouée : «Voilà plusieurs heures […] que les mots, les pensées, la voix de Roman m'envahissent, plusieurs heures que tout son être se propage dans toutes les régions de mon corps […]. J'ai la sensation très nette, en tout cas physique, que le cerveau, l'esprit, la pensée de Roman se sont petit à petit substitués à mon cerveau, à mon esprit et à ma pensée […]. Peut-être que nous parlons en même temps, l'un dans l'autre.»

Il y a dans le style d'Oliver Rohe — sa propension aux phrases amples, aux propositions qui se répondent, au triplement des adverbes ou des locutions — quelque chose qui rappelle le Hermann Broch de La Mort de Virgile. Jusque dans la qualité de la langue, sa précision, son obsession du sens juste. Et jusque dans la démarche, Rohe manifestant la même détermination que son aîné autrichien à creuser chaque thème, à en explorer les moindres recoins jusqu'à l'épuisement (du langage et, le cas échéant, du lecteur). Le lyrisme en moins, peut-être.

Malgré la gravité essentielle du sujet, malgré la circonscription de l'action aux seules sphères de l'intellect (on peut considérer comme quantité négligeable du récit les quelques allers-retours du narrateur entre son siège et les toilettes de l'avion), malgré l'immobilité foncière de ce récit de voyage, Défaut d'origine est une curiosité littéraire à ne pas négliger. Une fois franchie la difficulté apparente des premières pages, une fois accepté le devoir d'exigence que le récit impose, la quête ontologique d'Oliver Rohe offre de belles satisfactions. Et ouvre des perspectives intéressantes, comme l'idée — l'obsession devrait-on dire — de Roman, selon laquelle les écrivains ne font, en écrivant, que s'approprier les idées des autres, jusque dans leurs moindres détails. Rendant vaine par avance toute tentative d'écriture nouvelle. Donc toute tentative d'expression personnelle. «Personne n'est singulier ; personne n'est original : personne ne peut donc raisonnablement et de quelque manière que ce soit prétendre à l'individualité.


François Gandon
( Mis en ligne le 30/01/2004 )
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