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La voix d’Irène Némirovsky
Irène Némirovsky   Suite française - (Livre-CD)
Livrior 2006 / 

Version audio, lue par Valérie Charpinet
Préface lue par Myriam Anissimov
Coffret de 14 CD / 60 euros
ou 2 CD mp3 / 27 euros
Durée : 15 h 40

L’auteur du compte rendu : Olivier Philipponnat publiera en 2007, avec Patrick Lienhardt, une importante biographie d’Irène Némirovsky, en coédition Grasset/Denoël.

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Elle attendait ce sujet depuis 1917. Irène Némirovsky, née à Kiev, n’avait alors que quatorze ans, mais elle n’a oublié ni les houles humaines de Février, ni le séisme d’Octobre, ni les marées de l’exode. Il ne lui manquait, pour éprouver de nouveau la saveur de terre, de sang et de feu sans laquelle un roman de ce genre reste inerte, que de revivre pareille frayeur. Elle se produisit en France en mai 1940.

Irène Némirovsky perçoit aussitôt la portée historique et littéraire de l’événement, qui lui inspire d’abord une nouvelle, «Monsieur Rose». Puis, voyant que la grande Colette, de ces mêmes circonstances, n’a tiré qu’une poignée de choses vues (Journal à rebours), elle croit pouvoir entreprendre son Guerre et Paix. Seuls les deux cinquièmes nous en sont parvenus : Tempête en juin et Dolce. L’auteur n’a eu le temps que d’ébaucher la troisième partie, Captivité, lorsqu’elle est arrêtée puis déportée, en juillet 1942.

Dans le tumulte de louanges déclenché, en 2004, par l’attribution du prix Renaudot, nul ou presque ne s’est interrogé sur ce titre curieux, que l’auteur n’avait d’abord pas envisagé. Or, si l’on songe à Bach, qu’y a-t-il de plus allemand qu’une «suite française» ? Faut-il comprendre que, livrée à l’occupant, la romancière n’était plus dupe de la nature du vichysme, elle qui avait paru y succomber, dans son désir d’être française jusqu’au paradoxe ? Ecrivain français, nul ne l’est aujourd’hui davantage. Son oeuvre est entièrement republiée. Et déjà ce roman posthume, de Madrid à Moscou, de Londres à Séoul, de New York à Jérusalem, est un classique universel. On vient d’en enregistrer une version audio de quinze heures, introduite par de petits préludes de piano.

Irène Némirovsky n’était pas indifférente à la nature musicale de son oeuvre. La structure, d’abord : Tempestuoso, puis Dolce. Ses notes de travail montrent qu’elle le concevait comme une symphonie, ou comme une «sonate classique» : «Division en 3 mouvements, articulation de l’adagio et du dernier mouvement (exposition du thème, développement, rappel)». Une habitude depuis Le Vin de solitude, autobiographie déguisée, composée en 1934 au son de la Symphonie de César Franck. Cet équilibre, en tout cas, n’a pas échappé au compositeur finlandais Aulis Sallinen, à qui le roman d’Irène Némirovsky a inspiré un concerto de chambre, créé en 2005.

Était-elle musicienne ? On sait du moins que sa mère était bonne pianiste. Suite française est sa symphonie chorale. Irène Némirovsky en a puisé le modèle dans La Mousson de Louis Bromfield, traduit chez Stock en 1937. Aux pluies torrentielles qui ravagèrent le Ranchipur en 1936, elle substitue la débâcle de 40, envisagée comme un cataclysme. Sous l’intempérie, un choeur immense entame une fugue pathétique. Des voix se détachent : Mme Péricand, l’écrivain Corte, le téméraire Hubert, et le fausset Langelet, fêlé comme une de ses porcelaines. On n’a pas assez souligné l’humour féroce d’Irène Némirovsky, ni le plaisir inouï qu’elle prit à modeler une matière aussi diverse. Car derrière chacun de ces solistes, rapetissés par les événements, elle pouvait reconnaître tel banquier, tel homme de lettres, tel journaliste, douchés par son ironie.

Pour interpréter dans toutes ses nuances, ses forte et ses mezzo voce, cette «symphonie des mille pages» – total qu’elle aurait dû compter si elle n’était restée inachevée –, il aurait fallu les Choeurs de Paris au grand complet ! C’est seule que Valérie Charpinet a entrepris de déchiffrer la partition, d’une voix égale et endurante, un rien précipitée peut-être, mais c’est une histoire de précipitation. Pouvait-elle contrefaire la variété de touches, de teintes, de rythmes de cette oeuvre foisonnante, au risque de jouer les femmes-orchestres ? Elle se fait au contraire assez vite oublier, et c’est ainsi que le texte se livre à l’auditeur presque sans truchement – sauf, bien entendu, la préface avisée de Myriam Anissimov, instrument de cette résurrection, et qu’elle-même lit ici avec finesse.

Dans un court fragment sonore donné en complément, extrait d’une interview accordée en 1939 à la parution de Deux, roman d’analyse sentimentale à la manière de Chardonne, on peut entendre la voix d’Irène Némirovsky. Vibrante, moirée, profonde, chantante, cette voix rit, puis elle dit : «Il n’y a pas de terme au mariage, sauf la mort. Il n’y en a pas d’autre.» Ceux qui l’ont lue savent que l’écho de ces paroles n’est pas fortuit. Irène Némirovsky, dont l’oeuvre est peuplée de miroirs révélateurs et hantée du souvenir de Dorian Gray, n’a jamais redouté d’affronter son propre reflet, depuis l’eau de la Moïka où disparut sa chère gouvernante, jusque dans la rivière lugubre où s’enfonce le jeune abbé Philippe Péricand, noyé par la romancière, à qui il n’en fallait plus conter sur les vertus morales de la France. C’est là tout le sujet de Dolce, où l’on voit l’âme d’un village mise à nue par la défaite.


Olivier Philipponnat
( Mis en ligne le 28/04/2006 )
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