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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| William Faulkner Faulkner - Oeuvres romanesques - Tome 4 Gallimard - Bibliothèque de la Pléiade 2007 / 69 € - 451.95 ffr. / 1421 pages ISBN : 978-2-07-011657-7 FORMAT : 11,0cm x 17,5cm
Préface de François Pitavy.
Edition établie par Alain Geoffroy, François Pitavy et Jacques Pothier.
Prix de lancement : 69 (jusquau 31 décembre 2007), puis 77 . Imprimer
Le très attendu quatrième volume à la Pléiade consacré au démiurge des lettres américaines, William Faulkner, est enfin disponible. Fruit dun travail considérable, louvrage est dune qualité rare : les révisions apportées aux traductions ultérieures (on pense notamment à celles de Coindreau) se voient systématiquement justifiées ; la richesse de lappareil critique fait de cette édition un modèle du genre ; et la prose qui se déploie ici se laisse remonter comme un Mississipi tantôt colérique et imprévisible, tantôt majestueux et pacifié.
Rassemblant des romans périphériques à la réception du Prix Nobel qui lui fut décerné en 1950, lensemble apparaîtra de prime abord assez composite, du fait de la diversité des genres littéraires qui y sont représentés : récit de facture traditionnelle et de dimension modeste avec LIntrus dans la poussière ; recueil de nouvelles policières avec Le Gambit du cavalier ; chronique historique quand ce nest paléologique mêlée de dialogues théâtraux dans Requiem pour une nonne ; enfin, avec Parabole, fresque transposant les Saintes Écritures à travers un pseudo-épisode de la Première Guerre mondiale.
Cette part de la production faulknérienne se situe chronologiquement au débouché de ses années les plus noires, au niveau financier sentend. Écrivain déjà mondialement reconnu, notamment en France par Sartre et Malraux, on sait que lauteur de Le Bruit et la fureur dut pourtant, afin dassumer lentretien de sa famille (parents proches et domesticité incluse), compromettre son talent avec Hollywood en tant que scénariste. Cette besogne alimentaire ne fut pas pour rien dans la crise morale qui laffecta alors, ni dans laggravation de son vertigineux éthylisme. François Pitavy, dans sa préface, remarque cependant à juste titre à quel point Faulkner est redevable de linfluence de certaines techniques proprement cinématographiques : sil est un auteur moderniste dont la phrase épouse le mouvement dune caméra ou qui ponctue son texte de subtiles coupures et reprises, cest bien celui qui conclut Parabole dun magistral effet de fondu enchaîné.
Des quatre titres repris ici, seul le dernier ne se déroule pas dans le «Jefferson apocryphe» auquel nous ont habitué Lumière daoût ou Sartoris ; cet univers à dimension de timbre poste dont les contours furent définitivement établis et annexés par Faulkner en 1936 avec Absalon, Absalon !, à la fin duquel le plan exact du hameau était reproduit.
LIntrus dans la poussière (1948) pose, avec des accents dostoïevskiens, la question raciale aux États-Unis, à lépoque elle était de plus en plus brûlante. Lopinion de Faulkner sur le sujet a suscité de très nombreux débats, notamment à la suite de quelque propos fracassants relayé par le Sunday Times, à une époque où lécrivain brisait volontiers le devoir de réserve quil avait observé jusque là vis-à-vis des médias. Il faut dire que, couvert de distinctions et auréolé de gloire, Faulkner devint une sorte démissaire des États-Unis aux quatre coins du monde, un ambassadeur culturel dont la «voix autorisée» était écoutée tout autant que guettée. Le petit sudiste accédait à une audience universelle quil nétait peut-être pas toujours capable dassumer
Pas évident dès lors de comprendre, hors contexte, les positions de ce libéral modéré qui, sans jamais se désolidariser de son héritage, soutenait légalité des droits civiques, prônait une progressive intégration à la société américaine et nhésitait pas à prendre la défense dun jeune Noir injustement accusé de viol. Pitavy montre bien que, malgré certaines ambigüités, le discours faulknérien sinscrit dans une démarche profonde de «réaméricanisation». À cet égard, les pages de Requiem pour une nonne, consacrées à la construction primitive de la prison de Jefferson ou encore à la paléogéographie des lieux, sont symptomatiques dune telle quête vers le passé le plus ombilical du Nouveau continent.
Invoquant plus volontiers que jamais les Mythes et les Pères fondateurs de la nation, Faulkner amplifie son obsession du retour aux origines afin dexpliquer, non plus seulement le destin tragique pesant sur un seul de ses personnages, mais la dimension historique et métaphysique quest appelé à atteindre tout un Peuple. Loin de se réduire donc à un conservatisme étriqué ou à quelques réflexes réactionnaires, lattitude de Faulkner tente plutôt de renouer avec les idéaux de liberté économique, sociale et politique de la république jeffersonienne, avec un Paradis quil sait irrémédiablement Perdu mais quil sattache désespérément à faire revivre à travers sa littérature. La tâche est énorme pour les épaules de ce petit homme sec, au regard perçant ; il sagit de «tout faire tenir sur une tête dépingle». Et il y parviendra
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 23/11/2007 ) Imprimer | | |
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