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Cauchemardesque et savoureux
Norman Mailer   Un rêve américain
Grasset - Cahiers Rouges 2007 /  10.40 € - 68.12 ffr. / 336 pages
ISBN : 978-2-246-13953-9
FORMAT : 12,0cm x 19,0cm
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Hasard du calendrier éditorial, Un rêve américain sort dans la collection «Les Cahiers Rouges» de Grasset au moment où l’on apprend la mort de son auteur à l’âge de 84 ans. Norman Mailer (1923-2007) s’est éteint dans la quasi indifférence médiatique française qui préfère apparemment dans la culture américaine la course à la présidentielle et dans son propre pays parler de la parution des mémoires de Michel Drucker. On a la culture que l’on mérite ! Heureusement pour quelques lecteurs, ce roman de Mailer, sorte d’hommage involontaire de sa part, permet de redécouvrir la prose infernale d’un écrivain excessif, névrosé, passionné et assez passionnant, représentant par là-même une certaine idée de l’Amérique et du monde moderne.

Un rêve américain est un cauchemar urbain où s'entremêlent de manière récurrente toutes les angoisses du monde nocturne, noctambule et narcissique. Après un recueil de nouvelle publié de façon ironique sous le titre Publicités pour moi-même en 1959, Mailer revient au roman en 1966 avec ce livre écrit à la première personne. Et quel livre ! Stephen Rojack est ce qu’on appelle un professeur à la déroute, un psychologue contesté, un écrivain maudit, un ancien combattant alcoolique, et un animateur télé populaire que la violence et la dépression conduisent à un meurtre crapuleux. Séparé de Déborah Kelly, femme fatale, libertine et énigmatique depuis quelques années, leur relation d’amour et de haine n’a jamais cessé. Un soir, Rojack pénètre dans son appartement, se dispute avec elle, puis, suite à ses provocations et ses aveux d’adultères répétés, l’étrangle et la jette par la fenêtre pour maquiller un suicide. S’ensuivent quelques rencontres féminines, toutes proches des fréquentations de son ex-femme, dont la bonne Ruta ainsi que Cherry dont il tombe amoureux. Roberts, flic dépressif et solitaire, s’empare de l’affaire et cherche à faire avouer le crime à Rojack, lui démontrant assez facilement les preuves accablantes qui pèsent sur lui, notamment les traces de strangulations retrouvées sur la gorge de la femme disloquée. Le roman se passant dans les années 60, on comprend que les indices matériels de la culpabilité du héros soient longs à prouver. Aujourd’hui, un tel roman serait impossible, Rojack serait immédiatement inculpé après l’autopsie ! Enfin, là n’est pas le sujet car l’intérêt du livre naît dans le fait que Rojack reste libre malgré les suspicions qui pèsent sur son compte, permettant de prolonger son histoire lugubre et introspective.

Le livre est à la fois un roman psychologique, social, psychanalytique et policier. Les passions des uns et des autres sont exacerbées et les personnages, en ruine, sont dépassés par les effets ravageurs qu’elles provoquent : alcoolisme, violence, pulsions sexuelles, amour charnel. Et Rojack est en quelque sorte le catalyseur perdu, la victime et le bourreau, le lâche et le courageux. Durant tout le roman, il nie avoir tué cette femme alors que la culpabilité, sans le ronger, le pousse jusqu’au bout de l’intrigue (que nous ne dévoilerons pas ici). Mailer est ce qu’on appelle un écrivain sanguin, qui écrit avec ses tripes et dont la sensibilité s’accorde avec une intelligence redoutable. Sa connaissance de la société américaine sert de tableau à sa profonde interrogation sur l’homme. Rojack est un cas clinique, qui tue et qui aime, qui massacre et qui «baise», qui réfléchit et qui fuit devant la réalité dont il est presque toujours le commanditaire.

Livre sombre et envoûtant, où les malfrats ont le pouvoir et les flics sont à «la ramasse». Bourbier urbain d'où personne ne ressort indemne. Les morts pleuvent et pleurent dans ce chaos à la fois intime (les personnages sont brisés intérieurement) et sociale (la violence suit immédiatement le langage). Ce roman est aussi une réflexion sur l’inconscient qui porte les individus à l’acte ; d’ailleurs les symboles psychanalytiques y sont nombreux. Mailer oscille entre une tonalité formelle purement narrative et un nombre de métaphores excessives parfois un peu brutales. Exemple en toute fin de livre : «J’entrai dans un bar qui allait fermer, pris un double bourbon qui descendit comme l’amour dans mon corps.» Autrement dit, Mailer décrit la violence psychologique d’un monde qui suit celle sanglante de la guerre mondiale à laquelle il a participé et où il a fait preuve d’un certain courage sans conséquence directe sur son devenir d’intellectuel.

Si l’on veut ajouter un élément biographique, on peut subodorer que la trame d’Un rêve américain a été imaginée par son auteur à la suite d’un événement personnel. En effet, six ans avant la rédaction de l’ouvrage, Mailer s’est violemment disputé avec sa femme qu’il a fini par poignarder, heureusement sans gravité pour elle. C’est ce fait réel qui a été fantasmé par Mailer par la suite en décrivant ce qui aurait pu lui arriver s’il avait été jusqu’au bout de son acte.

Ce roman, pour finir, est une double déambulation, une aventure urbaine baignée de sang, de violence et de meurtre et le chemin de croix d’un type qui tente de vivre un amour après avoir tué froidement une femme aimée. Un intellectuel qui n’a su répondre par les mots et s’est laissé dépasser par sa nature d’homme brutal. Il y aurait beaucoup à dire encore sur ce livre qu’il faudrait prendre comme un exemple symptomatique dans l’œuvre assez variée de son auteur. Un rêve américain est un cauchemar sur les obsessions modernes et notamment sur la puissance indéfectible du sexe.


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 19/12/2007 )
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