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Requiem pour un pays défunt | | | Miljenko Jergovic Le Palais en noyer Actes Sud - Textes balkaniques 2007 / 25 € - 163.75 ffr. / 462 pages ISBN : 978-2-7427-7032-8 FORMAT : 14,5cm x 24,0cm
Traduction de Aleksandar Grujicic et Raphaële Balmes. Imprimer
Né en 1965, à Sarajevo, Miljenko Jergovic est un auteur reconnu dans les Balkans. Le Palais en noyer, que publient les éditions Actes Sud, a reçu à sa parution en 2003 plusieurs prix littéraires croate, bosniaque et serbe.
«Les systèmes héliocentriques du malheur se renouvellent cycliquement. Ils sont la seule histoire vivante, celle qui ne séteint jamais, qui est reprise dune génération à lautre, dune époque à lautre. Dont les retombées se font sentir pendant des centaines dannées.» (p.222). Tout est dit ! Miljenko Jergovic a élaboré, autour de lhistoire de la Yougoslavie, une vaste fresque baroque, qui fait par moment penser au Garcia Marquez de Cent ans de solitude. Un récit construit de façon complexe au rebours des ans, au cours duquel le lecteur traverse un siècle dhistoire et les régions des Balkans. Dans ce roman dense, tout se ferme, aucune place à lespoir, à la lumière. Chaque individu se perd dans son destin, plus ou moins tragique selon les époques. Période terrible entre toutes, la seconde guerre, qui se double en Yougoslavie dune guerre civile, broie les êtres dans la mort.
Dans cette histoire désespérée, la seule issue raisonnable pour les individus est encore la folie, celle dans laquelle se perd Regina. Regina Delavale-Sikiric, héroïne centrale de cette histoire du malheur tragique et répété. Le roman souvre sur sa mort, à quatre-vingt-dix ans, mort donnée par un jeune médecin compatissant, qui accepte en forçant la dose de calmant, de rompre la chaîne sans fin du mal. Mort libératrice pour Diana, fille de Regina, et ses jumeaux Darijan et Mirna. Peu à peu, avec un art consommé du récit, Miljenko Jergovic entraîne le lecteur dans lhistoire confondue de Regina et de son pays. Regina, de famille musulmane, dont le père, Rafo, était né dune mère sexagénaire et dun père octogénaire dans la Bosnie Herzégovine de François-Joseph, empereur dAutriche-Hongrie. Lempereur, devant cette naissance miraculeuse, tint à être parrain du bébé. Parrainage qui aurait pu ouvrir la voie à un destin glorieux, alors que, tout au contraire, la vie de Rafo ne fut que malheurs accumulés. Malheurs que tenta de conjurer son épouse Kata, mais dont leur fille Regina hérite sans espoir.
A travers la vie de Regina, celles de ses frères, sur presque un siècle, on suit, fasciné, lhistoire dune famille mais aussi dun pays. On remonte, génération après génération, jusquau grand-père de Regina, qui, en 1905, commande au sculpteur August un jouet pour le bébé. Celui-ci, confiant dans lavenir, sculpte dans du noyer, pour lenfant à naître, fille ou garçon, une maison jouet, inspirée dun livre : Les Intérieurs modernes des villes davenir, car «dans ce triste monde, une maison est la seule chose qui appartienne aux hommes et aux femmes» (p.457). Au matin de la naissance, le 5 avril 1905, il baptise fièrement son oeuvre «le palais en noyer». Intention touchante que démentiront cruellement les évènements dun siècle impitoyable.
Miljenko Jergovic a un talent indéniable de conteur, les moments drôles succèdent aux temps dramatiques, dans un tissage efficace. A remonter ainsi le temps en suivant les destins fracassés des personnages, à circuler dans lespace de lex Yougoslavie, entre Dubrovnik et Sarajevo, le lecteur entre progressivement dans lhistoire dun pays construit et détruit au cours du XXe siècle. Point fixe de cette spirale de tragédies : les femmes, axes de la civilisation ou de ce qui en surnage malgré tout. Le livre refermé, reste la rencontre avec un auteur reconnu dans son pays et quil est urgent de faire mieux connaître en France, ce à quoi s'attellent les éditions Actes Sud (Le Jardinier de Sarajevo, réédition Babel 2004, Buick riviera, Actes Sud, 2004).
Marie-Paule Caire ( Mis en ligne le 18/01/2008 ) Imprimer | | |