| Marta Morazzoni L'Affaire Alphonse Courrier Actes Sud - Lettres italiennes 2008 / 19 € - 124.45 ffr. / 213 pages ISBN : 978-2-7427-7575-0 FORMAT : 12,0cm x 22,0cm
Traduction de Marguerite Pozzoli. Imprimer
Orcival, petit village dAuvergne au début du 20ème siècle. Limposante église autour de laquelle se pressent des dizaines de maisons est comme laimant identitaire et culturel de la communauté, au sein de laquelle les évènements marquants sont célébrés dans un devoir moral, et scellés dans la mémoire collective. Protégés par les collines environnantes, vestiges des volcans ancestraux, Orcival est à limage des campagnes françaises davant guerre où les voitures nétaient encore que des charrettes tirées par des chevaux, où les habitants des villages alentours étaient vaguement connus, presque comme des étrangers, où les villes telles que Clermont Ferrant et Paris semblaient de lointaines contrées, où tout le monde sobserve, cancane, juge sans en avoir lair.
Et dans ces patelins, il y a toujours des personnages, des individus sur lesquels plane une aura mystérieuse qui appelle naturellement à la déférence. Alphonse Courrier est de cette trempe-là. Homme petit, élégant, discret et courtois, Alphonse fait prospérer sa quincaillerie avec ténacité et humilité, à la limite du détachement. Mais, Alphonse Courrier cache une stratégie dans cette attitude. Dailleurs, toute sa vie est un inlassable calcul pour neutraliser son angoisse la plus menaçante : perdre le contrôle de soi, ne plus maîtriser ses émotions.
Alors, Alphonse mène une vie intime avec la même obsession. Une femme pour se marier, car en 1900 un homme doit sunir à une femme pour fonder un foyer et offrir une descendance. Il choisit Agnès, belle, autoritaire et bonne gestionnaire. Il naime pas Agnès. Sil laissait son cur respirer, Adèle serait la femme, la plus laide du village soit dit en passant, vers laquelle il orienterait ses choix. Mais la raison efface les sentiments ; tout au moins sefforce-t-il dappliquer cette maxime. Et que dire de cette adolescente, Germaine, folle amoureuse dAlphonse, qui invente des stratégies impossibles pour se rapprocher de lui.
A travers la plume dune narratrice qui décortique, tels des plans cinématographiques senchaînant subtilement, 17 années de la vie dOrcival et dAlphonse Courrier, Marta Morazzoni propose un roman sublime dingéniosité, de précision et denvoûtants procédés littéraires. En effet, en endossant la personnalité de cette narratrice qui, semble-t-il, serait du village tout en laissant le lecteur dans une troublante confusion, la romancière développe les non dits, les secrets, les cachoteries, les frustrations, les espoirs, les insolences avec une légèreté empreinte de gravité, avec une indifférence marquée de discrètes moqueries. Les phrases, souvent longues, senchaînent comme les vers chantants dun poème, rythmées par des virgules qui enveloppent lhistoire dun voile léger, presque drôle. Pourtant, elle raconte des drames intimes. Ces ambivalences nourrissent la beauté intrinsèque de ce roman.
Frédéric Bargeon ( Mis en ligne le 04/07/2008 ) Imprimer | | |