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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Jean Mattern Les Bains de Kiraly Sabine Wespieser éditeur 2008 / 17 € - 111.35 ffr. / 144 pages ISBN : 978-2-84805-066-9
Date de parution : 25/08/2008. Imprimer
Parfois rauques et maladroits comme une voix qui peine à sortir, les mots tentent de garder tout au long de ce premier roman une contenance bouleversante. A limage des larmes qui ne peuvent couler, des questions qui ne savent sénoncer et des souvenirs quon oblitère faute de savoir y faire face, la narration avance par à-coups et avec une maîtrise de soi qui ne trahit rien dautre que la volonté dutiliser ses dernières forces à camoufler sa fragilité. Le récit se déroule comme sil était extérieur à celui qui construit les phrases, comme si tout était une question de correction grammaticale. Pourtant, Gabriel, le héros bien peu héroïque des Bains de Kiraly, nest pas dupe de cette fausse carapace. Et le nud des sanglots reste coincé dans sa gorge, sans pleurs rédempteurs.
Les mots lui ont tant manqué lorsque, plus petit, ceux que possédaient en propre ses parents lui étaient interdits et ne faisaient que murmurer une mélodie magyare inaccessible à travers le mur de sa chambre ; lorsque les livres lus et les langues apprises compulsivement se sont révélés des portes de sortie factices lignorance ne disparaît pas avec ce savoir pris à dautres ; lorsque la parole du deuil a été enterrée en même temps que sa sur aînée, à jamais ; lorsquil sest vu incapable de répondre aux confidences qui naissent dans lamitié, avec Léo, dans lamour, avec Laura. Privée dhistoire, la page blanche quil a limpression dêtre ne trouve aucun moyen déchapper à son destin, triste paradoxe pour un déraciné qui aurait voulu voir dans sa situation précaire le lieu de tous les possibles.
Car il ne lui suffirait pas de connaître son passé pour aller de lavant et laisser la vie suivre son cours, et accepter de la donner, davoir un fils ; il lui faudrait être en mesure de partager ce passé, et ça, cest impossible. La cassure que laccident fatal de sa sur Marianne a introduite dans leur vie familiale a fixé pour toujours le silence, que le traducteur quil est devenu essaie deffacer à grand renfort de dictionnaires.
Cest lhistoire de ce combat contre le désespoir, contre lécran que peuvent devenir les mots eux-mêmes, que raconte Jean Mattern avec une grande pudeur. Cest aussi une grande histoire damour contrarié ; un amour générique que le narrateur ne sait pas expliquer, pas reconnaître, une peur de la solitude sublimée, un aveu dhumanité. Le rapport délicat au vocabulaire, au phrasé, à la mélodie de la langue se retrouve dans lécriture employée pour décrire le profond cauchemar dans lequel Gabriel se noie petit à petit en espérant se laver de ses fautes, de sa culpabilité sans nom ; profond et déraisonnable comme le tourbillon des châles à franges à la synagogue pour Yom Kippour, angoissant et faussement délassant comme les bains hongrois de Kiraly.
Sur la piste de ses origines, des mots qui auraient pu être les siens mais ne le seront jamais, le narrateur souffre, médite dans une prison formée par six dentre eux : «Dieu a donné, Dieu a repris». Et cest très beau.
Aurore Lesage ( Mis en ligne le 27/08/2008 ) Imprimer | | |
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