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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Valérie Tordjman Une fraction de seconde Le Passage 2008 / 14 € - 91.7 ffr. / 128 pages ISBN : 978-2847421217 FORMAT : 14X20 cm
Date de parution : 04/09/2008. Imprimer
Enguerrandt est photographe. La photographie la émancipé, il y a abandonné son prénom et sa nationalité, en a fait sa seule raison sociale. Il na en revanche pas choisi dêtre photo-reporter de guerre ; il lest devenu, parce quil se sentait concerné par son époque, que cette époque était lannée 1968, et que 1968 cétait le Biafra, entre autres. Enguerrandt a depuis traversé les décennies derrière son objectif et toujours vécu «chez la guerre». Et cest de nouveau au Nigeria que sa trajectoire sest arrêtée, du fait dun enlèvement et dune longue séquestration.
Ce récit de captivité aurait pu être similaire à des événements qui ont attiré lattention médiatique de façon récurrente depuis quelques années. Mais Enguerrandt est assez expérimenté pour se méfier de lagitation des comités de soutien comme des rhétoriques qui cherchent à décrire la psychologie des otages. Surtout, le roman traite quasi-exclusivement des faits à travers la perception quen a le captif, qui ne peut donc quimaginer ce qui se passe à lextérieur. Il consacre bien davantage son isolement à se remémorer son parcours, à essayer de comprendre ce qui a pu lamener là.
Valérie Tordjman ébauche ainsi une tranche de vie consistante, et même une vie entière. Celle-ci est rendue vraisemblable par lintégration de faits réels, y compris dans une chronologie placée en annexe, et même dune épigraphe attribuée au photographe lui-même, à loccasion de la rétrospective qui lui est consacrée. Si la fiction peut ainsi jouer avec la réalité, cest que le personnage ne manque pas de modèles existants. Les photographes, reporters de guerre en particulier, constituent une figure du vingtième siècle, celui dEnguerrandt, qui aura largement fasciné.
A travers lui, le roman devient un plaidoyer pour la photographie, une réflexion sur nombre de ses aspects et sur son évolution, considérée comme bien peu réjouissante. Enguerrandt consacre sa réclusion à revisiter ce qui a fait lessence de sa vie, son art et sa profession. Il est très conscient de lhistoire de ce média, et rend hommage aux confrères qui lont précédé ou quil a côtoyés. Il examine les implications techniques de son métier et sa place dans une époque marquée par linflation de linformation, dont la photo est devenue «la dernière roue du carrosse». Il considère avec une certaine nostalgie lépoque de la guerre du Vietnam, en ce quelle a été lapogée du reportage de guerre. Il évoque avant tout les sensations quun civil simplement armé de son boîtier peut connaître sur le champ de bataille, avec sa part de fierté mais aussi la culpabilité et une peur toujours présente. Enfin il se souvient de sa compagne Didi, qui sest éloignée de lui à mesure quil préférait cohabiter avec la guerre : «Didi pense dEnguerrandt ce quEnguerrandt pense de la guerre».
Lauteur elle-même partage certainement cette passion pour la photographie, et ne manque pas de culture sur le sujet. Elle a travaillé au Centre national de la photographie et a déjà mis un photographe au centre dun ouvrage précédent, La Pornographie de lâme. Sa défense de cet art en est très convaincante sur le fond, moins quant à la forme littéraire. La langue est très prosaïque, parfois trop familière. La narration hésite entre les première et troisième personnes, pour sattarder sur la deuxième quand Enguerrandt tire des leçons ou se fait des reproches. Enfin, la construction de ce court roman sorganise en fragments, censés correspondre aux trente-six poses plus une dune bobine photographique. Ces idées auraient pu être bonnes mais dégagent au final l'impression qu'il manque un liant. Il est vrai que dans sa geôle on ne pouvait demander à Enguerrandt délaborer une narration parfaitement cohérente ; néanmoins son personnage y perd une partie de lépaisseur que la richesse de son existence lui avait donnée.
Marc Lucas ( Mis en ligne le 05/09/2008 ) Imprimer | | |
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