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Jeux interdits et douleurs enfantines
Emmanuelle Pagano   Les Mains gamines
P.O.L 2008 /  15 € - 98.25 ffr. / 168 pages
ISBN : 978-2-84682-273-2
FORMAT : 13,5cm x 20,5cm

Date de parution : 25/08/2008.
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Paysages automnaux de vignobles caressés par des lueurs rougeoyantes, faux calme d'une bourgeoisie paysanne, conversations impossibles : le cadre choisi par Emmanuelle Pagano pour situer son nouveau roman vibre étrangement. Pas vraiment gothique, pas vraiment trash, vraiment pas bucolique, l'ambiance des Mains gamines mélange toutes ces teintes d'une façon particulière, et l'on se perdrait plus d'une fois dans les chemins pierreux qui mènent au souvenir du viol collectif et quotidien d'une fillette par tous ses petits camarades de CM2 – sauf un, si la bizarrerie de la construction narrative elle-même ne nous ramenait obstinément aux faits.

Les narratrices sont multiples sans que pour autant leurs voix ne se mêlent. Elles tournent autour du même événement, consciemment ou non puisque toutes ne connaissent pas le secret : mais il les habite, inaudible parce qu'il les a rendues sourdes, il se transforme en bête sauvage, en perce-oreille qui met lentement en pièces tympans et sensibilités.

Petite fille d'une dizaine d'années, vieille institutrice à la retraite, quadragénaires si différentes, grand-mère inquiète, ces femmes sont blessées dans leur corps, dans leur rapport à la sensualité, au sexe, et la violence des hommes vient échouer aux portes de leurs rêves, les laisse s'enfermer dans des mots qui ne portent pas en eux la libération promise. L'imaginaire est à la fois un pinceau de lumière qui vient éclairer et changer doucement la réalité, et une bulle qui s'apparente de plus en plus à une prison. Ce qu'elles finissent en effet par comprendre, c'est que les murs dressés par les songes d'enfant ne protègent pas. On devient quand même femme. Les vers à soie ne tissent leur fils immaculés que pour l'industrie agricole. Les licornes vous abandonnent. Les garçonnets cachent des talents de bourreaux et les rôles à tenir finissent toujours par prendre le dessus, par effacer la gamine rêveuse.

Malgré tout, il y a quelque chose de fragile, une musique dont l'innocence prend des accents terrifiants, une lumière transparente jusqu'à en devenir glaciale dans cet ouvrage singulier. Le style a la simplicité des coteaux secs, la rudesse des relations humaines dans cette bourgade qui vit de la vigne et des châtaigneraies : les phrases sont courtes, épuisées par la douleur interne, mais exactes, impitoyablement vraies. Un vocabulaire spécifique vient de temps à autre renforcer l'enfermement des phrases dans les limites de la terre travaillée, entre les enclos des propriétés agricoles. La forêt elle-même fait figure d'ailleurs dans cet univers austère.

Les situations pesantes, étouffantes à en hurler sont rendues avec talent et Les Mains gamines réussit le tour de force de recréer avec des mots le silence, dans toute son épaisseur, dans toute son opacité, ses obscurités. L'équivalence entre ouïe et sexualité est posée dès le départ, omniprésente tout au long du roman, et les «poèmes trashs» de la femme de ménage sont l'expression grimaçante d'une volonté de faire voler en éclats, vingt ans après, le mutisme dans lequel l'indicible a été noyé.

Si l'on est parfois légèrement dérouté par la forme de ce livre, c'est que le fond qu'il dévoile peu à peu est d'une rare violence et ne saurait être reclus dans une enveloppe propre et lisse, claire, jolie. Cependant, il faut noter la qualité d'une narration qui exclut sans compromission la vulgarité, le voyeurisme ; et, pour avoir relevé la gageure d'une écriture à la fois crue et décente, insoutenable et enfantine, Emmanuelle Pagano mérite certainement l'admiration du lecteur qui referme son roman mal à l'aise, la poitrine cerclée d'un étau honteux, envahi à son tour par le goût amer et écœurant d'un silence d'adultes, d'un crime d'enfants.


Aurore Lesage
( Mis en ligne le 01/09/2008 )
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