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Littérature -> Romans & Nouvelles |
| Jane Sautière Nullipare Verticales 2008 / 12.90 € - 84.5 ffr. / 146 pages ISBN : 978-2-07-012060-4 FORMAT : 14cm x 20,5cm
Date de parution : 04/09/2008.
Auteur du compte rendu : Ancien élève de lÉcole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé de Lettres Modernes, Fabien Gris est actuellement moniteur à lUniversité de Saint Etienne. Il prépare une thèse, sous la direction de Jean-Bernard Vray, sur les modalités de présences du cinéma dans le roman français contemporain. Imprimer
Cest au cours dun simple dépistage du cancer du sein que la narratrice apprend, de la bouche du radiologue qui lexamine, quelle est «nullipare». La définition de ce mot se tient en exergue du texte : «Nullipare, adj. et subst. fém. : (en parlant dune femme) qui na pas eu denfant». Le mot devient très rapidement le déclencheur de lécriture. Dès la troisième page, le projet est explicité : «Je voudrais interroger lahurissant mystère de ne pas avoir denfant comme on interroge lahurissant mystère den avoir.» Nullipare se donne donc comme une méditation à la première personne sur la maternité, ou plus exactement labsence de maternité. Dans une société qui se dit progressiste et évoluée (et à juste raison sur de nombreux points !), labsence denfant chez une femme reste presque un tabou et une honte. Féminité et maternité sont indissociablement liées dans nos imaginaires et nos représentations sociales. Sans endosser en aucune façon les habits du féminisme revendicatif, Jane Sautière tente néanmoins de décrire et de questionner cet état de fait.
Pourquoi être «nullipare» serait-ce être automatiquement «nulle part», sans lieu défini, sans territoire, hors champ et hors course ? La narratrice refuse avec fermeté cette marginalisation ; il sagit pour elle de tordre le cou aux discours et aux stéréotypes, il sagit de faire du livre une révolte silencieuse («une révolte à bas bruit, ni calicot, ni slogan») contre les évidences, les facilités. Jane Sautière questionne avec finesse et acuité cette absence denfant. On pourrait ici citer, par exemple, les différentes évocations de maternités «obliques» ou «substitutives» auxquelles se prête la narratrice (un jeune joueur de pelote basque quelle observe et quelle imagine être son fils, sa vieille mère qui redevient un enfant dont il faut soccuper, des poupées, des animaux
).
Mais cette interrogation, nous dit lauteur, ne peut être séparée dune méditation plus large sur ce que peuvent être le féminin et la féminité. Cest ainsi que sont abordés la sexualité, le rapport aux hommes, le désir, la frustration, le corps féminin, dans sa splendeur comme dans son vieillissement repoussant. La méditation se double également, bien souvent, dun retour sur soi : contre le fait dêtre «nullipare nulle part», par exemple, la narratrice évoque les différents lieux dans lesquels elle a habité et qui ont construit son identité. Sa propre enfance (notamment à Téhéran) et son rapport filial avec sa mère sont également lobjet de réflexions.
Le livre est constitué de courts chapitres (parfois quelques lignes tout au plus sur une page) qui sont autant dintrospections. La langue est très travaillée, presque jusquà la prose poétique ; le rythme des phrases est lobjet dune attention toute particulière. Faisons ici lhypothèse que lun des modèles décriture de lauteur est Marguerite Duras : outre le fait que celle-ci soit explicitement nommée (à propos dHiroshima mon amour et des femmes tondues à la Libération), laspect formulaire ou la crudité de certains propos, ainsi que la force de nombreuses images nous rappellent irrésistiblement lauteur du Ravissement de Lol. V. Stein, elle-même inlassable portraitiste de femmes (Lol V. Stein, Anne-Marie Stretter, Aurélia Steiner
).
Certes, on pourra parfois reprocher quelques excès psychologisants et assez abscons, ainsi que certaines expressions pesantes. Néanmoins, lorsque le texte se fait plus simple, plus direct et moins affecté, il peut se révéler dune très grande intensité. Jane Sautière exprime finalement, avec Nullipare, une conception très exigeante de la littérature, que lon ne peut que saluer.
Fabien Gris ( Mis en ligne le 06/10/2008 ) Imprimer | | |
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