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Cassures identitaires
Camilla Gibb   Le Miel d'Harar
Actes Sud 2008 /  23 € - 150.65 ffr. / 397 pages
ISBN : 978-2-7427-7398-5
FORMAT : 11,5cm x 21,5cm

Traduction de Paule Noyart.
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Lilly est comme scindée en deux. Une petite partie d’elle-même est anglaise, plus précisément elle est née d’un père anglais et d’une mère irlandaise, quand l’essence même de son être est vouée corps et âme à l’Islam. Une femme blanche aux cheveux blonds respectant les prières et les préceptes du Coran, dont les mœurs quotidiennes se rapprochent plus des traditions africaines que de l’effervescence culturelle de l'Angleterre du début des années 80 : un choix original pour aborder la religion musulmane et l’Ethiopie, seul pays du continent africain à ne pas avoir vécu la colonisation.

Lilly s’est installée dans un quartier populaire de Londres après avoir quitté en urgence, en 1974, la ville d’Harar en Ethiopie. Cette année là, Harlé Sélassié fut détrôné ; débutent le chaos et une guerre de plusieurs années. Cette fuite est pour Lilly un déchirement. Abandonner les terres poussiéreuses et rouges d’Harar est un déracinement intolérable malgré la misère dans laquelle elle vivait dans la vieille baraque en tôle de Nouria et ses enfants. Le quotidien bercé par les appels à la prière, les rudes et ingrates tâches manuelles, les leçons coraniques données aux enfants pauvres, les rires entre femmes, le khat qui détend l’esprit et les samedi après-midis chez Aziz. Aziz, ce jeune homme à la peau noire et douce, élégant, étudiant en médecine, engagé qui a su lui montrer un autre Islam, plus libre, plus moderne. Dans ses bras, elle a éprouvé ses premiers émois et l’amour, ce sentiment qui aiguise les sens et transforme l’existence.

De son appartement modeste de Londres, Lilly a 27 ans et se souvient des 19 premières années de sa vie en terre africaine. Comme de nombreuses autres éthiopiennes, elle guette les listes des réfugiés arrivés depuis peu en Europe. 8 ans qu’elle attend un signe d’Aziz. Les années passent et l’espoir résiste ; au fond d’elle, Lilly se fissure, doute et tente de comprendre qui elle est. Partagée entre sa culture profondément africaine et ses racines anglo-saxonnes, elle se résigne à vivre dans ce passé religieux et initiatique. Ainsi, elle ne sombre pas totalement. Mais la confrontation avec la modernité de Londres et l’adaptation des autres réfugiés (notamment Amina, son amie) provoquent chez elle des cassures identitaires. Pourquoi s’accroche-t-elle avec autant de vigueur à son apprentissage religieux ?

Dans une narration elliptique, les souvenirs et la vie londonienne s’entrelacent et provoquent un tourbillon dans lequel Lilly est mise au pied du mur de son existence : soit elle choisit l’impasse en s’obstinant à vivre dans sa mélancolie soit elle accepte l’âpre réalité et avance, grandit.

Le roman de Camilla Gibb est dense, époustouflant de beauté, de poésie et de connaissances sur ces deux mondes. Elle montre et décrit à travers le personnage de Lilly l’apprentissage de l’Islam, son poids dans le fonctionnement personnel et social. Les femmes n’y ont pas une place agréable, le pouvoir politique est proche du totalitarisme, la misère est oppressante, les mœurs sont parfois incompréhensibles tant elles sont manipulées par d’ancestrales superstitions (la description d’une excision est poignante), les paysages sont à la fois beaux et âpres. Sa plume subtile n’exagère jamais les émotions et rend compte d’un autre monde, là-bas, de l’autre côté de la Méditerranée, constitué de paradoxes difficiles mais aussi de rapports humains solides malgré des contextes parfois sordides. Et le tiraillement de Lilly, peut-être celui de tous les réfugiés ou immigrés, se trouve là, dans ce fossé culturel et identitaire. D’un côté l’individualisme et l’empire du matériel, de l’autre un maillage social où chacun a sa place et la référence à Allah pour chaque geste de la vie.

L’objectif de Camilla Gibb n’est pas de démontrer si tel système est mieux qu'un autre, elle narre avec finesse, tout simplement.


Frédéric Bargeon
( Mis en ligne le 07/10/2008 )
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