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Littérature -> Biographies, Mémoires & Correspondances |
| Louis-Ferdinand Céline Lettres à Albert Paraz - 1947-1957 Gallimard - Les cahiers de la NRF 2009 / 36.50 € - 239.08 ffr. / 550 pages ISBN : 978-2-07-012244-8 FORMAT : 14cm x 21cm
Nouvelle édition établie par Jean-Paul Louis. Imprimer
Léchange épistolaire quentretint Louis-Ferdinand Céline avec Albert Paraz constitue sans doute lune des correspondances les plus acrimonieuses de la littérature contemporaine. Exilé au Danemark pour les raisons que lon sait, lauteur y répand le torrent fielleux de son verbe sur les «maquereaux» du monde de lédition, les collabos qui sen sont mieux sortis que lui, les journalistes et les intellos «enculeurs de mouches», le «pédaleux néronien» Brasillach, la police française parmi laquelle on croise «Gaudissart tortionnaire Vermot Torquemada»
Bref, cest lépoque dans son entier qui en prend pour son grade. Ou plutôt pour sa dégradation.
En butte aux effets de lépuration, «cette corrida des Européens moyens», Céline décoche foudres et flèches. Il relate la visite de luniversitaire juif Milton Hindus (dont le livre le scandalisera), énumère les difficultés quéprouve au quotidien son couple à se fournir en eau potable, et souffre, souffre énormément. Du froid insinuant que souffle la Baltique sur leur maisonnette, de la viduité des jours, de lirrémédiable fuite du temps. Une vie de paria, contre laquelle il ne cesse de pester. Là où dautres se résigneraient à affronter ladversité et la lourdeur généralisée par lexercice de la sagesse, lui se réfugie dans les Mémoires dOutre-tombe de Chateaubriand et juge que, dans vingt ans, tout cela sera «buée sur merde». Bien sûr. En attendant, le docteur sans patientèle rabâche quand même des formules dun nihilisme absolu : «Je vivrais mille ans si jétais sûr de voir crever le monde» ; ou «Je mamuserais mieux dans une léproserie. Je gagnerais ma vie, dabord». Il demande que lui soit octroyé un «passeport animal», plus valable que celui dêtre humain qui le range doffice dans le «cheptel dégénéré total», et précise que, sur sa tombe, il ne désire que le mot NON, en capitales, pour seule épitaphe. En filigrane de cette haine, cest un profond sentiment de rancune face au déshonneur subi qui transparaît : «Je men fous de mourir mais cest dêtre outragé qui me gêne».
Près de trois cent cinquante lettres
Le corpus, sétalant de juin 1947 à septembre 1957, est assez vaste pour rendre compte des tours et détours judiciaires de laffaire Céline, de ses rebondissements comme de ses enlisements. En plus de lui dispenser de vagues conseils médicaux, le relégué autorise Paraz, tubard, à reproduire ses bafouilles incendiaires dans ses journaux intimes. Voilà comment Le Gala des Vaches et Valsez, Saucisses ! deviendront, après aménagements de ponctuation et de paragraphes, dauthentiques tribunes céliniennes. En plus de les intégrer à ses propres pages, Paraz diffusera les fulminations de Céline en réponse au sous-entendu de Sartre dans Sur la question juive. Cela donnera la fameuse lettre au Ténia, mieux connue sous le titre À lagité du bocal.
Mis en confiance par la fidélité indéfectible que lui témoigna cet homme, Céline se lâche. Chacune de ses phrases, dune prodigieuse inventivité langagière, claque au visage du lecteur et prend valeur daphorisme. Mais à suivre ce déferlement de lyrisme et doutrance, le rire nest jamais loin. Un rire qui fera encore grincer maintes mâchoires, longtemps après, notamment autour de la question de «la magique chambre à gaz» évoquée à propos des ouvrages signés Bardèche ou Rassinier, que Céline sest fait envoyer.
Les missives ne servent pas que dexutoire. Elles tiennent également lieu de laboratoire décriture à cet isolé qui tente son grand retour sur la scène littéraire des années 50. De la sorte plusieurs passages sonneront-ils familièrement aux oreilles des coutumiers des Entretiens avec le Professeur Y, texte fulgurant, à la lisière du pamphlet, où figureront des métaphores telles que celle du «métro tout nerfs» pour qualifier sa révolution stylistique.
La présente réédition se voit rehaussée de documents éclairant le contenu de certaines lettres. On lira par exemple avec intérêt le long réquisitoire où Pierre Le Vigan revient sur lépisode de la fuite à travers lAllemagne ou encore larticle de Paraz paru dans Défense de lhomme, publication libertaire dirigée par Louis Lecoin.
Et puis, il faudra se rendre à lévidence. La lave du Vésuve Céline est un magma composé de mauvaise foi, certes, mais aussi de lucidité sans concession. Elle voudrait araser la connerie universelle, même si le combat est perdu davance. Cela ne lempêche pas de charrier son lot de constats ravageurs. Ainsi, quand Céline apprend la mort de Théophile Briant dans un accident de voiture, il a ce commentaire sans réplique : «Voilà le triomphe de la matière
le démon va en auto sur les routes ramasser les matérialistes». Ses crispations quant à «lamoûûûr» rabotent tout sentimentalisme à ras de viande : «[
] lintromission dun bout de barbaque dans un pertuis de barbaque jai jamais rien vu là que du grotesque, et cette gymnastique damour ! Cette minuscule épilepsie ? [
] Pas plus con ! Le vagin tabernacle ! Ils mécurent !» Enfin, à ladresse de Paraz, qui va bientôt être cueilli par la camarde, il offre ce viatique, que nous devrions tous emporter dans un recoin de notre mémoire : «Ce monde est un mégadéconophone
passe à côté, éloigne-toi
»
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 20/07/2009 ) Imprimer
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