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Orages et aurores
August Strindberg   Correspondance - Tome 2 - (1885-1894)
Zulma 2011 /  22 € - 144.1 ffr. / 507 pages
ISBN : 978-2-84304-551-6
FORMAT : 12,5cm x 19cm

Traduction d'Elena Balzamo
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«Je ne connais de repos que quand je me déplace», écrivait Strindberg à son éditeur le 27 juillet 1884. Dans ce second volume de lettres strindbergiennes, royalement mijoté par les éditions Zulma et la traductrice Elena Balzamo, le repos de l’écrivain se poursuit, à son rythme – celui de la chevauchée fantastique. La plume, tête chercheuse et béquille d’un cerveau en feu, trace son sillon dans toute l’Europe, rayant l’huis des auberges grises comme le velours des salons littéraires. Notre écrivain cosmopolite a des allures de clochard international, de brigand en cavale – de desperado. Accusé par les autorités suédoises de blasphème, puis acquitté, le voici parcourant l’Europe (la France en trois semaines !), et se mariant, divorçant, se remariant, se séparant encore, se faisant du mouron pour ses enfants, insultant les femmes, les adorant, accumulant dette sur dette, se lançant à la conquête de Paris et de Berlin ; essayant de créer, par deux fois, son propre théâtre (double échec) ; découvrant Nietzsche et correspondant avec lui, lisant Balzac et Zola (un maître) ; tirant à distance, par-dessus l’épaule, sur sa Suède natale, et se défendant, agressant, conspirant, dénonçant, se vengeant et souffrant ; se rêvant, pour finir, fondateur d’ordre mendiant. Strindberg écrit toujours comme un fou, naturellement – Mademoiselle Julie, Père, Créanciers, des «merdes» alimentaires également. Années terribles pour l’écrivain, d’errance et de dénuement ; «Et l’Univers n’a même pas honte !», gémit ce grand persécuté fantasmatique. Seulement : «J’ai pris la décision de survivre». L’Univers n’a qu’à bien se tenir !

Ces lettres vif-argent continuent de nous captiver, dont la rapidité de trait, le coq-à-l’âne incessant, la fièvre assumée, parfument le génie strindbergien d’une candeur roublarde, d’un art consommé de la spontanéité. À la souffrance s’oppose la conjuration par les formules magiques, à la dureté des choses, la grâce des sortilèges. De sorte que les dangers, les errances, les guerres en cours, prennent l’apparence d’une très enfantine jonglerie cosmique. «Traverse les flammes des sept enfers et sors de l’autre côté, indemne !», enjoint-il à un cadet, comme si les langues de feu pouvaient être invoquées à volonté ; comme s’il s’agissait, pour tout homme bien trempé, de se trouver sa rive du Styx, où s’embarquer pour quelque rédemptrice croisière... Notre Suédois n’a pas perdu le feu sacré, et il pourrait à bon droit écrire avec Baudelaire : «Ma tête devient littéralement un volcan malade. De grands orages et de grandes aurores». La lave, en ces années de maturité (si un tel mot peut jamais convenir à un Strindberg), se rassemble en son cratère plus qu’elle n’en déborde, comme désireuse de supporter et de s’exciter tout ensemble, d’accumuler sur elle les plus hautes pressions – que s’élabore le cocktail le plus explosif. Et c’est non sans joyeuse perversité qu’en fin de volume, nous entendons, dans les lettres de 1894 à Leopold Litmannsson, les crescendo de l’exaltation et du délire, augurant la désintégration prochaine, par-delà les étoiles... «Telle une armée du salut ! Nous construirons un drakkar blanc, rehaussé de dorures et haut en couleur ; revêtus de tenues de fête blanches, nous suivrons le cours de l’Aisne, à la rame ou, quand le vent sera favorable, en déployant notre voile de soie bleue ; nous descendrons la Seine, traverserons Paris, sans débarquer, jouant sur de nouveaux instruments – que j’inventerai – des hymnes nouveaux que je laisserai à la Nature (= le hasard) le soin de composer, chantant des chants sur des modes nouveaux, comprenant des quarts et des huitièmes, qu’on a jamais entendus, avant de remonter la Marne, puis l’Aisne et de rentrer à la maison !» Orages et aurores !

Dostoïevski, Nietzsche, Strindberg et consorts : la seconde moitié du XIXe siècle, c’est le temps de la grande angoisse et de la grande espérance pour le cerveau européen, qu’on voit se déchirer à mesure qu’il s’étire, qu’il se répand dans le puits sans fond de la connaissance. Du fameux «sac vert» de Strindberg débordent, par milliers, des notes consacrées à la littérature, à la politique, à la philosophie, à l’alchimie : véritable capharnaüm portatif, miroir ambulant d’un cerveau à l’appétit pantagruélique. Tout transformer en or – la société, la science, la boue, la vie, c’est la grande quête de Strindberg – et celle du siècle. Il envisage «l’énigme de l’existence, qu’il est impératif de résoudre» – pas moins ! L’auteur d’Inferno est tout entier dans cette parole, dans cette allégresse à déclarer la guerre aux problèmes les plus énormes, comme on dresse une liste de courses – et à s’y attaquer ! Strindberg, c’est un Faust à tête de djinn, épuisant dans son rêve d’omnipotence tous les filons du savoir, même les plus improbables : «Je puise la sagesse dans un dictionnaire encyclopédique de 1840 et des journaux déchirés qu’on trouve dans les lieux d’aisance». Le savoir asséché, on imagine des phalanstères, où l’on pourrait tout clarifier ; et des ordres mendiants, où les contingences matérielles et spirituelles s’effaceraient, dans un rai de lumière blanche. Littérature, science, alchimie et utopie : tout s’amalgame dans un grand vaudou rationnel, un charivari d’enfer, où ont leur part le duel avec l’ombre, le viol rêvé des foules et la mise en demeure du monde.

L’important ? Tout renverser, et danser sur le fil surtendu de valeurs nouvelles, intermittentes, révoquées un jour ou l’autre – et immédiatement, tant qu’à faire ! «Pour moi, le bonheur consiste à croître continuellement». C’est la beauté et le risque de l’aventure strindbergienne de laisser toute sa place à la métamorphose – d’une année, – d’une lettre, – d’un mot à l’autre… «L’incendie qui ravage mon cerveau ne s’éteindra jamais» : chaque mot engendre celui qui le niera, dans l’euphorie et la douleur, chaque mot est prière faite au suivant : corrige-moi ! éclaire-moi ! subjugue-moi ! anéantis-moi ! Alchimie encore, transmutation, au rythme vivifiant des contradictions douloureuses, des synthèses précaires : «il y a une méthode dans ma folie». Cette méthode, c’est halluciner juste, c’est raisonner jusqu’à la déraison, et tout compte fait, se laisser féconder par une volonté qui est en même temps soi et supérieure à soi, en dedans de soi («On verra bien ce que je saurai inventer pour faire enrager les quatre royaumes du nord !») et en dehors («Mon âme a reçu dans son utérus une formidable injection spermatique de Friedrich Nietzsche, et, telle une chienne, j’ai le ventre bien plein !»). Toute cette force est précipitée dans la cornue de l’écriture, où fermentent, parmi une troupe de chimères donnant des coudes dans leur bocal, les révolutions futures : «Je procède à la réévaluation des choses anciennes en renversant l’échelle des valeurs ! C’est ce que les gens n’ont pas compris. À peine moi-même !». «À peine moi-même» : mot magnifique, le plus sage peut-être qu’ait prononcé un artiste dément, et le plus humble proféré par un écrivain mégalomane… Et qui dit à quel point August Strindberg, c’est toujours l’enfant tantôt innocent, tantôt retors, tour à tour acteur et spectateur de la croissance tortueuse de son âme, de sa floraison continuelle – âme foisonnant des leurres, pièges et venins que la nature se plaît d’ordinaire à dissimuler sous ses parures les plus éclatantes.

L’écrivain lui-même ne s’y trompe pas : «Par trop de fabulation mon existence est devenue celle d’une ombre ; j’ai l’impression de ne pas marcher sur la terre ferme mais de planer, à l’état d’apesanteur, dans une atmosphère non pas d’air mais de ténèbres. Si jamais une lumière les éclaire, je tomberai aussitôt, anéanti !» Strindberg ira jusqu’au bout, et tombera – vers le haut ! De grands orages et de grandes aurores.


Jean-Baptiste Fichet
( Mis en ligne le 02/05/2011 )
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