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Littérature -> Essais littéraires & histoire de la littérature |
| Henri Godard Un autre Céline - De la fureur à la féerie. Deux cahiers de prison Textuel 2008 / 59 € - 386.45 ffr. / 274 pages ISBN : 978-2-84597-254-4 FORMAT : 23,5cm x 26,5cm Imprimer
Présente-t-on encore Henri Godard ? Henri Godard, lauteur en 1994 de lindispensable synthèse que constituait Céline scandale et, plus encore, quelque dix ans auparavant, dune Poétique de Céline qui fit entrer de plain-pied largotier absolu dans le giron de lAlma mater, jusque-là réticente à laccueillir. Henri Godard, surtout, léditeur des quatre volumes de la Pléiade. Cest de cette prestigieuse signature que senrichit un coffret de ce que lon qualifie de «beaux livres». Si vous comptez parmi vos amis un célinolâtre, ne cherchez pas plus loin ce que vous lui déposerez sous le sapin.
Le but poursuivi dans Un autre Céline est annoncé sans ambages : «Ce panorama, dressé hors de toute visée biographique et même hors chronologie, afin de donner leurs justes proportions à quelques-unes des composantes du paysage de Céline, ne cherche pas à en faire une étude systématique. Mais liconographie est là pour prendre le relais de lanalyse. Elle aussi, de manière différente, est de nature à enrichir la lecture des textes en montrant visuellement des images que le romancier ne laisse affleurer que par des coups de projecteurs toujours brefs».
La nouveauté ne réside donc pas tant dans les commentaires que dans lagencement de limagier, du «chosier» que nous sommes invités à parcourir. Une réelle atmosphère se dégage de ces pages, celle qui conditionna lémergence dun style. Ambiances de ports et de cafés de marins, affiches dépoque, lieux de spectacle, coupures de journaux pro et contra, ruines de villes bombardées, portraits dactrices sublimes, clichés de lexposition «Le Juif et la France», salle dattente comble dun dispensaire médical de banlieue, tableaux de maîtres flamands, pas de danse de Lucette à la barre
Lil du flâneur qui entamera cette chaotique randonnée à rebours aura parfois limpression quon lui a greffé la rétine de Céline, et que son regard se superpose au sien. Une réussite, même si les thèmes pourraient être déclinés à lenvi (les esprits pinailleurs déploreront par exemple labsence des animaux).
Le deuxième volet réserve une émotion supérieure au premier : il permet de plonger dans lintimité du tracé et du phrasé céliniens, grâce à la reproduction en fac-similé de deux carnets manuscrits, rédigés durant lemprisonnement à la Vestre Faengsel de Copenhague, lorsque Céline attendait que fût décidée son éventuelle extradition. Le grain du papier, de grande qualité, rend à la fois la consistance et la fragilité de ces cahiers pour écoliers danois, sagement lignés (et même margé pour le second). Lécriture de Céline sy déploie dans son jaillissement, son fourmillement et son effervescence. Et pour cause, car ces dizaines de feuillets recèlent lessentiel des éléments qui allaient servir de matrice à Féerie pour une autre fois et à la trilogie allemande. Vers la fin, les notations, en majorité télégraphiques, gagnent en syntaxe, partant en gravité. Les mentions fugaces du cataclyste («Tout est un trou», «les ombres incohérentes») se doublent des accents du moraliste («Leffroyable danger davoir bon cur : il nest pas de plus horrible crime, plus implacablement traqué, minutieusement, qui nest expié quavec cent mille douleurs»). Au fur et à mesure se mêlent au flux mémoriel des citations des classiques que Céline relisait en cellule. On y croise Boileau, La Rochefoucauld et bien entendu son inséparable Chateaubriand.
Engeôlé, tout destin suspendu, Céline ne philosophe pas. Il se souvient, et cela suffit à entretenir sa nostalgie, ses aigreurs et sa hargne. Mots jetés en vrac, noms de lieux, sobriquets parodiques, aphorismes, métaphores, croquis : voici un long télégramme qui nous parvient de loutre-là et nous vise directement au trognon.
Ce trésor est complété dune dizaine de lettres dune tout autre tonalité, à la pianiste Lucienne Delforge. On y entrevoit un Céline bienveillant (mais ne létait-il pas envers toutes ses lointaines maîtresses ?), adressant des conseils, des vux de bonheur et, une fois nest pas coutume, des mots tendres. Fait notable : il pousse la confiance jusquà évoquer sa création et le ressort essentiel de celle-ci : «Je ne voudrais pas mourir sans avoir transposé tout ce que jai dû subir des êtres et des choses». Un tel aveu ne se lit pas innocemment quand on connaît la suite des événements
Comme il est dailleurs difficile de réprimer un sourire quand Céline affirme, en 1936 : «Et puis le Danemark est un endroit avant tout heureux Je voudrais y aller si je le pouvais cest bien gentil lenfer perpétuel mais un petit peu de paradis tout de même ça repose». Nous en reparlerons en 1946, cher Louis-Ferdinand
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 12/12/2008 ) Imprimer
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