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Littérature  ->  Essais littéraires & histoire de la littérature  
 

Les affinités éclectiques
Bruno de Cessole   Le Défilé des réfractaires
Perrin - Tempus 2013 /  11 € - 72.05 ffr. / 586 pages
ISBN : 978-2-262-04152-6
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication en avril 2011 (L'Editeur)
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«C’est soi-même encore et toujours qu’on préfère et qu’on célèbre chez les autres. Chaque critique, dans les types qu’il ramène, ne fait que sa propre apothéose» : par cette parole de Stendhal s’ouvre Le Défilé des réfractaires de Bruno de Cessole, écrivain et critique littéraire à Valeurs Actuelles. Défilé en effet ! Bruno de Cessole n’a pas l’apothéose mesquine. Il a l’âme d’un aubergiste espagnol, les reins d’un haltérophile : il faut ça pour entasser 55 bustes sur un bureau de critique, au milieu de trois ou quatre mille livres... L’auteur a bon goût du reste, puisqu’il a le nôtre – en plus large. Étrange carnaval que ce Défilé, où Nabe côtoie Modiano, Sartre Barrès, Muray Sartre, Bernanos d’Ormesson ! Marque, probablement, d’un fond généreux, d’une gourmandise panoramique. De quoi, peut-être, susciter la méfiance de qui rechigne à cocufier ses dieux…

Inutile de s’étendre sur le talent de plume de l’auteur : vingt articles, à l’heure qu’il est, s’en sont déjà chargés. Et tant qu’on en parle : il est touchant de voir vingt gosiers entonner, de concert et sans fausse note, le laudate de notre critique ; ça vous a un air de pique-nique aux enfers, entre gens de goût. «Ah ! qu’on est bien installés – et décemment accompagnés ! Entre initiés, on sait se tenir chaud. Douceur de bronzer au soleil des grands brûlés !» Allons, ne soyons pas bégueule pour si peu : Bruno de Cessole a brossé des portraits par endroits colorés, rythmés comme ceux d’un Daudet (Léon, qui est de la partie). Celui-ci par exemple, d’un écrivain contemporain qu’on se représentera aisément : «Mine de cocker triste, allure de sacristain onaniste, de préparateur en pharmacie chafouin, au fond d’une province oubliée»… On passera en revanche sur l’éloge de Modiano, écrivain que nous n’avons pas lu – avec raison, puisqu’il paraît qu’un de ses romans a des airs d’«album photos couleur sépia». Pourquoi pas de chromo, ou de documentaire d’Arte ? Bruno de Cessole cacherait-il une tapette à mouches sous son encensoir ?

Les portraits de Barbey, de Bloy, de Céline, de Chateaubriand, de Nabe, de Dantec, et ceux de Sartre et d’Aragon au milieu, c’est ce qui nous alléchait dans ce pavé – et une curiosité vicieuse : comment diable allait-on nous resservir le réfractaire, cette momie dévouée, cet aimable gisant, sempiternellement rhabillé et rasé de frais par les maquignons du journalisme, pour être vendu à la criée ? On s’étonnait un peu qu’un Bruno de Cessole, tout de même pas né de la dernière pluie de rebelles faisandés, et qui connaît son Debord et son Muray sur le bout des doigts, osât mettre au fronton de son recueil un de ces mots réduits en charpie par les cent mille chicots de la grande bouche médiatique. D’emblée, on nous rassure : «Rebelle, insoumis, révolté, frondeur, dissident, irrégulier, franc-tireur, réfractaire… ces mots, et l’attitude qu’ils désignent, le symbole qu’ils représentent, ont été pelotés par tant de mains intéressées ou suspectes, sont devenus si galvaudés, que j’avoue avoir scrupule à employer l’un deux en guise de titre». Le titre, passe encore, mais il y a le sous-titre : ''Portraits de quelques irréguliers de la littérature française''.

«Rebelle, insoumis, révolté, frondeur, dissident, irrégulier, franc-tireur, réfractaire» : mais ils cascadent de la plume cessolienne, ces mots ! Ils en tombent par fagots! On lira par exemple ces lignes, écrites dans un style qui, en l’occurrence, passerait inaperçu dans une page ''Portraits'' de Libération : «[Larbaud était] un irrégulier, sans feu ni lieu, transgresseur de convenances et de tabous, passeur de frontières, contrebandier en livres et autres marchandises spirituelles» ! Mazette ! Larbaud cultivait-il ces prétentions dignes d’un poète de rue subventionné ? Et ce pauvre Tillinac, un «irrégulier qui n’aime rien tant que les chemins buissonniers et les lisières». Comme François Bayrou et le chanteur Cali ? Et Jacques Laurent : «Ne jamais être là où on l’attendait, telle fut l’une des constances de cet inconstant qui ne détestait rien tant que le carcan des idées reçues, et les rails du conformisme». C’est tout ? C’est peu. C’est le problème avec les réfractaires : à force de défiler par régiments entiers sur le pavé littéraire et médiatique, ils nous font rêver à ces temps héroïques où Madame Michu était respectée, et écoutée ; où Monsieur Prudhomme était considéré ; où l’on chantait, sauf exception : «dans mon village, sans prétention, j’ai très bonne réputation». Fantasmons cet être rare : un homme absolument, parfaitement banal – décalé à force d’être commun... Réfractaire à rien du tout ; et transperçant l’air avec la bonhomie d’un boulet de canon, poitrine tendue dans l’absence de vent contraire…

Par quel artifice vanter malgré tout le réfractaire, et autrement qu’à la manière des publicitaires – et des journalistes de gauche – et des journalistes de droite ? On ne va tout de même pas faire l’éloge des dévots ! C’est le grand casse-tête chinois des littérateurs de France, le nœud gordien sur quoi glisse leur lame émoussée. Bruno de Cessole, lui, s’est dégoté un fier sabre, lequel a pour nom : contradiction. Céline ? «Homme grevé de contradictions». Claudel ? «Un homme écartelé entre des pulsions contraires, et qui ne cherche pas à les unifier». Léon Daudet ? «Le personnage est contradictoire, et attachant par cela-même». Tillinac ? «N’en est pas à une contradiction ni à un malentendu près». On se demande comment tout ce beau monde tient sur ses cannes. «Il faut s’attacher à dégager l’écrivain de la gangue des exégèses, des commentaires, des pieuses images d’Épinal, pour laisser parler ses écrits», écrit Cessole. Sans doute, et le Défilé ne manque pas de remarquables coups de pinceau, qui montrent combien le «réfractaire», homme de tempérament, de style, de goût surtout, est rétif à tout embrigadement idéologique, à tout bercement dans le temps. De là à faire des contradictions une sorte d’ouvre-boîte universel des crânes d’écrivains réfractaires ! «Voici l’homme ! déclare Bruno de Cessole, et le mieux qu’on puisse en dire, c’est qu’il est plus complexe qu’on ne croit» Et le critique de frémir, ravi de la lumière faite sur la face embrouillée du génie.

«Ce sont les paradoxes et les contradictions qui font des réfractaires et des hommes libres, inaptes à réciter mécaniquement les credos communautaires», continue Bruno de Cessole. C’est juste, naturellement. Et commode. Rusé, surtout. Quel jardinier littéraire se dispense aujourd’hui de faire pousser, dans son potager intime, quelques contradictions pimentées, susceptibles de relever son ragoût ? La contradiction prospère depuis les Romantiques, lesquels éprouvaient le souvenir glacé de Robespierre, de sa bande de butés, de leur goût immodéré de trancher. Du «sabre de Didi», dirait Gabriel Matzneff, du monolithisme des coupeurs de têtes, on peut légitimement se défier, pour faire son miel de contradictions assumées. Qui sait, toutefois, si de ces contradictions, un chien galeux ne fait pas sa pitance, dans notre dos ? Baudelaire, contre le bourgeois et sa bêtise cubique, réclama le premier le «droit de se contredire» ; pas pour lui semble-t-il, car le poète était, en fait d’éthique et d’esthétique, intraitable ! À la vérité, qui est plus contradictoire, complexe, flottant, versicolore – que le bourgeois, pourtant si copieusement assommé par nos réfractaires ?

Et qui, de nos jours, se nourrit plus goulûment d’inconséquence narcissique que les fourriers du consumérisme planétaire, laudateurs indifférents de tout et de son contraire, et ne haïssant rien tant que la rigidité, le manque de souplesse – le carcan ? De Jacques Laurent, Cessole écrit que «l’ambivalence était [le] royaume». C’est qu’il partageait sa couronne avec le bourgeois, ce roi du flou artistique… On a beau jeu d’aller ensuite goûter dans Vladimir Volkoff l’orthodoxe brandissant ses dogmes contre une «époque relativiste et molle», car enfin, le dogme ne tolère pas exactement les contradictions ! Et celles-ci vont bien tant qu’on ne les caresse pas comme un banquier son exemplaire de Télérama.

Brisons là : s’il nous plaît de chatouiller Bruno de Cessole au miroir, beau miroir, de ses écrivains favoris, c’est que nous lui ressemblons un peu, condamnés que nous sommes à nous écarteler dans des admirations dépareillées, dans un goût égal du classique et du baroque, du cuit et du cru – de l’absolu et du contradictoire. On a beau faire, on est de son époque ! La littérature fait de nous, les tard-nés, des bâtards à la énième puissance, chimères enfantées de chimères, mosaïques monstrueuses dans quoi s’invitent la tripe célinienne, la moustache proustienne et le sourcil bernanosien.

«Oh, mon cousin, faites-moi donc le plaisir de me mettre un peu de fumier dans mon mouchoir de poche : j’adore cette odeur-là», miaulait la cousine de Flaubert, citadine fraichement débarquée à la campagne qui n’est pas sans rappeler tels crypto-hussards enchantés de leurs maudits, et se les refilant comme des gamins des photos polissonnes, en fond de classe, avec l’illusion de fronder le maître. Bruno de Cessole a le bon goût de ne pas en être, lui dont les vertus principales sont l’admiration, le refus de la pose, la délicatesse dans le service. En témoigne cette parole admirable au sujet d’Emmanuel Berl, laquelle vaut également pour toutes les licornes littéraires : «[…] il n’a pas mérité qu’on en appelle pour lui, comme un condamné, à l’indulgence de la postérité».


Jean-Baptiste Fichet
( Mis en ligne le 01/04/2013 )
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