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Littérature -> Essais littéraires & histoire de la littérature |
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Philippe Muray à travers les âges | | | Alexandre de Vitry L’Invention de Philippe Muray Carnets Nord 2011 / 20 € - 131 ffr. / 283 pages ISBN : 978-2-355-36052-7 FORMAT : 14,5cm x 21cm Imprimer
Depuis sa mort en 2006, Philippe Muray jouit dune notoriété grandissante : lauteur se voit particulièrement célébré en 2010 avec la réédition par les Belles Lettres de lensemble de ses Essais puis les lectures de Fabrice Luchini. Luvre complexe de lécrivain, souvent réduite à la critique conservatrice des rollers ou des terrasses chauffées, méritait une véritable étude. Cest désormais chose faite avec ce premier ouvrage dAlexandre de Vitry.
Autant le dire clairement, cet exercice dexégèse ne sadresse quà un public relativement restreint composé damateurs de Muray. Lambition de ce travail est détudier la pensée de lécrivain (présenté parfois à tort dans les médias comme «philosophe») en se reposant avant tout sur son uvre. LInvention de Philippe Muray ne nous apprendra donc absolument rien sur la vie privée de lécrivain, dont nous ne savons déjà pas grand-chose. Alexandre de Vitry cherche avant tout à comprendre la cohérence et lunité des différents textes de lécrivain, et dessine pour cela le portrait dun individu littéraire né en 1984 avec son premier texte de référence, Le XIXe siècle à travers les âges.
Lauteur parvient à nous donner envie de (re)lire cet ouvrage capital de la pensée murayenne, une somme brillante et érudite consacrée en 1984 aux collusions entre socialisme et occultisme au XIXe siècle. Cette uvre inclassable retrace lensemble des mouvements modernistes de cette période, décrits comme autant de religions de progrès. On y découvre les aspects méconnus de figures progressistes de lépoque (Hugo, Comte, Zola, Michelet
) dont Muray raille lunivers néo-gothique, régressif et puritain. Alexandre de Vitry démontre en quoi cette uvre servira de base théorique à lécrivain ; le modèle de lHomo dixneuviemis avide de progrès se développe peu à peu pour donner naissance dans les années 1990 à son équivalent contemporain, lHomo Festivus.
LInvention de Philippe Muray réussit à inscrire les principaux thèmes développés par lécrivain dans un ensemble de pensée cohérent, quil sagisse de la question du catholicisme (et de sa critique contemporaine) ou de la place de la sexualité dans lidéologie totalitaire festive. Bien entendu, nous ne pouvons en vouloir à lauteur de navoir pu traiter lensemble de ces thèmes.
Alexandre de Vitry aborde également lun des aspects les plus controversés de luvre de Philippe Muray, à savoir sa dimension politique. Le jeune auteur de cette étude sinterroge ainsi sur lidentité politique de lécrivain : ses critiques virulentes du socialisme occultiste (dans Le XIXe siècle à travers les âges) puis de la gauche française contemporaine (à partir de LEmpire du Bien) justifient-elles pour autant le titre dhomme de droite («Homo dexter») ? Alexandre de Vitry ne répond que partiellement à la question en opposant lindividu littéraire à toute pensée politique généralisante ; Muray se contenterait de railler les masses par le biais dune critique individualiste : «Ce en quoi la littérature de Muray est antipolitique, cest cette dérobade, ce refus. Et cest ce refus qui demeure incompréhensible pour beaucoup de ceux qui découvrent, un peu déconcertés, la littérature de Muray : mais que propose-t-il ? A quoi cela nous avance-t-il ? Et pour qui aurait-il voté ? Pour le dire de façon plus familière, Muray nécrivait pas, ni ne pensait, en simaginant ce qui se passerait si toute la planète se mettait à dire et penser la même chose. Muray ne fumait pas (et surtout pas !) en se demandant ce qui se passerait si tout le monde fumait. Son refus de la reproduction, dans Postérité, nest pas un appel à lextinction de lhumanité».
Alexandre de Vitry préfère donc botter en touche. Certes, luvre de Muray dépasse le clivage traditionnel gauche-droite, mais cela ne devrait pas pour autant suffire à le considérer comme «apolitique». Les analyses de Muray reposent certes sur la littérature, mais pour ensuite investir un terrain explicitement politique. Il faut avant tout penser lauteur comme un écrivain conservateur, de tradition catholique, instinctivement opposé au monde moderne, et donc à la gauche libérale et progressiste de son époque. Par méfiance ou par coquetterie, Muray nemploie pas de terminologie marxiste ; pourtant, son analyse de la pensée libérale contemporaine, et notamment du principe dautocontestation du système capitaliste (pensons aux «rebellocrates» ou aux «mutins de Panurge»), le rapprochent clairement dune critique marxiste traditionnelle (et non gauchiste). Son uvre cible les effets de lidéologie néo-libérale, soit lanomie qui résulte de la désagrégation des structures traditionnelles complétée par un totalitarisme festif. On ne sera donc pas étonné de voir Muray encenser luvre du néo-marxiste américain Christopher Lasch (dans le tome III des Exorcismes spirituels) qui a comme lui constaté la régression générée par la pensée libérale. Alexandre de Vitry préfère ignorer cet aspect de lécrivain, et cela afin de parfaire le portrait dun individu littéraire simplement obsédé par la tyrannie de la masse.
On aurait donc préféré voir laspect politique de Muray davantage approfondi, ainsi que ses analyses géopolitiques parfois manichéennes. Mais ce travail dAlexandre de Vitry demeure une première exégèse dexcellente qualité qui sera certainement suivie dautres, luvre riche et complexe de Philippe Muray appelant encore de nombreux débats.
Antoine Robineau ( Mis en ligne le 17/10/2011 ) Imprimer
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