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Littérature  ->  Essais littéraires & histoire de la littérature  
 

Casanova : en attendant, godo
Giacomo Casanova   Histoire de ma vie. Volume 1
Gallimard - Bibliothèque de la Pléiade 2013 /  58 € - 379.9 ffr. / 1374 pages
ISBN : 978-2-07-011712-3
FORMAT : 12,0 cm × 18,0 cm

Gérard Lahouati (Préfacier)

Marie-Françoise Luna (Annotateur)

Furio Luccichenti (Annotateur)

Helmut Watzlawick (Annotateur)


L'auteur du compte rendu : Chargé d'enseignement en FLE à l'Université de Liège, Frédéric Saenen a publié plusieurs recueils de poésie et collabore à de nombreuses revues littéraires, tant en Belgique qu'en France (Le Fram,Tsimtsoum, La Presse littéraire, Sitartmag.com, etc.). Depuis mai 2003, il anime avec son ami Frédéric Dufoing la revue de critique littéraire et politique Jibrile.

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Il était grand temps que la sensuelle Bibliothèque de la Pléiade consacrât son pesant de pleine peau et d’or fin 23 carats à revêtir L’Histoire de ma vie de Giacomo Girolamo Casanova (1725-1798). Ce premier volume ravira plusieurs publics à la fois : les férus de littérature libertine comme les amateurs du genre autobiographique, les passionnés du XVIIIe siècle et les italianisants…

Il existait déjà d’autres éditions de ce monument des lettres européennes, dont une dans la même collection mais remontant à la fin des années 50, puis celle dite «Brockaus-Plon» qui, si elle respectait le texte original, lui avait infligé un remaniement de découpage et de chapitrage quelque peu dommageable. Le projet de Gérard Lahouati et Marie-Françoise Luna est quant à lui clairement défini, puisqu’il s’agit de «[…] corriger l’image essentiellement légère que le public reproduit depuis bientôt deux siècles de Casanova» et insister sur ses facettes moins évidentes, soit «le témoin incomparable, extraordinairement précis et vivant, de son siècle, l’intellectuel pénétré de la pensée des Anciens et passionné par celle de son temps, le lettré nourri de littérature, l’éblouissant conteur».

Lire Casanova en 2013, ce ne sera donc plus seulement chercher à se repaître de stratagèmes de séduction, de conquêtes à la chaîne et de chandelles tôt mouchées afin de démontrer la pertinence de l’adage selon lequel, dans l’obscurité, toutes les femmes se ressemblent. Certes, Casanova court la gueuse, qu’elle soit nièce d’ecclésiastique, grande dame ou femme vénale, et sa capacité d’accueil en la matière n’est même en rien limitée par la surface des matelas qu’il occupe. Elles s’appellent Bettine, Angela, Lucie, Thérèse, Nanette et Marton ; elles font des mines, résistent un peu, échangent des billets secrets avec un rival pour attiser la jalousie et le désir, feignent la possession satanique, pour finalement se donner de tout leur feu, de toute leur âme, jusqu’à accepter de se laisser lutiner en trio. Il arrive même qu’il coûte de les avoir possédées et qu’elles fassent pisser des lances, mais est-on sur terre pour regretter ? Et dire que la centième page n’est pas atteinte que le défilé est déjà considérable…

Le lecteur prend un immense plaisir à voir se dérouler cette vie de bâton de chaise que les dents de scie du destin n’hésitent pas à entamer. Casanova n’est pas qu’un homme de courbe ascendante, il connaît les revers qui l’amènent à la ruine, en geôle ou pire, à la solitude. La salvation, dans ces moments pénibles, lui vient alors de la sagesse, dont il tire la force nécessaire pour ne pas sombrer. Sans voir rien de l’optimiste béat, il nourrit la conviction du bonheur qui revient. Il croit en la capricieuse dynamique de la Fortune, qui prend plaisir à abaisser puis élever de nouveau, dans la mesure où, comme il l’expliquait dans sa préface définitive, elle est dominée par la bienveillante Providence de Dieu. Bref, un homme à qui sa lucidité procure la liberté.

On aurait donc absolument tort de ne voir en lui qu’un libidineux asservi par ses instincts. Dans un passage éclairant sur la quête qui l’anime, Casanova file une longue métaphore où il compare la femme à un livre vivant, et constate : «La femme est comme un livre qui bon ou mauvais doit commencer à plaire par le frontispice. […] Or tout comme ceux qui ont lu beaucoup de livres sont très curieux de lire les nouveaux fussent-ils mauvais, il arrive qu’un homme qui a aimé beaucoup de femmes toutes belles, parvient enfin à être curieux des laides lorsqu’il les trouve neuves». Il conclut sa démonstration par ces mots : «Et l’egnomane devient victime de la coquetterie, qui est le monstre persécuteur de tous ceux qui font le métier d’aimer». Le néologisme désigne une passion de connaître, une soif de savoir, qui confinent à la folie ; un syndrome dont il serait bon d’étudier la présence chez maint écrivain ultérieur, et qui rappelle la démesure frénétique des Dumas, Miller, Simenon, et tutti quanti.

À fréquenter le bouillonnant Casanova, on savoure également son élégante maîtrise du français, élu comme moyen d’expression par le mémorialiste proscrit. Les indices de la langue maternelle s’y rencontrent, inévitablement, sous la forme de traits syntaxiques, de particularismes, d’interférences, ou de manœuvres de contournement à la difficulté (le passé composé souvent préféré au passé simple) ; ce ne sont en tout cas jamais des stigmates, et on souscrit au propos de Lahouati et Luna quand ils expliquent à quel point, derrière les lettres du texte, le lecteur a l’impression d’entendre les modulations de la voix de Casanova en personne.

Enfin, en sus du frisson érotique et du plaisir esthétique, quelle ouverture à l’esprit d’une époque ! Casanova fréquente les personnalités en vue des hautes sphères vénitiennes ou romaines, sautille de la fine fleur aux bas-fonds, rencontre par deux fois le quasi-centenaire Fontenelle puis d’autres figures marquantes des Lumières, se livre à des farces grotesques avec un bras prélevé sur un cadavre, se fait prédicateur avant d’enfiler un masque et de se fondre dans la nuit des débauches. Il jouit, Casanova, à chacune de ces pages, et ne tire d’autre morale de la vie que, en bien ou en mal, elle mérite pleinement d’être vécue. Avvanti, Signore !


Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 26/03/2013 )
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