| |
René Fallet en vilain petit canard | | | René Fallet Chroniques littéraires du Canard enchaîné - 1952-1956 Les Belles Lettres 2004 / 21 € - 137.55 ffr. / 315 pages ISBN : 2-251-44270-7 FORMAT : 14x20 cm Imprimer
De 1952 à 1956, René Fallet, tout jeune écrivain, tint une rubrique littéraire au Canard enchaîné ce dont on ne se doutait pas forcément - et la moindre des réflexions que le lecteur se fera en découvrant ces textes, cest que manifestement, la valeur nattendait pas le nombre des années. Car une rubrique littéraire est un objet complexe, qui recèle de grands pouvoirs, mais peut aussi légitimer de grandes injustices. Surtout, la critique risque parfois détouffer le talent, de scléroser la gentillesse
Rectifions donc : plutôt quune critique littéraire, il sagirait dune chronique, de billets dhumeur (souvent mauvaise) et de règlements de compte avec les adversaires favoris du Canard, tout ce qui porte uniforme, képi, soutane, mais aussi quelques hypocrites et autres profiteurs.
Ainsi, on ne peut quéprouver une certaine allégresse à voir ce jeune homme impertinent pourfendre du haut de ses 25 ans quelques barons décatis (Aragon en vautour sur le corps littéraire de Colette - , Simone de Beauvoir qui a succombé aux abîmes de Sartre, Jules Roy à la fois mesquin et talentueux
), quelques vedettes dalors depuis longtemps oubliées (Jean Richepin, Henry Bordeaux
), quelques écrivains plus renommés que lus (Claudel) et quelques institutions (au hasard, les divers prix et le Goncourt en particulier, le Centre National des Ecrivains, lAcadémie française
). Car il y a du justicier en René Fallet, nhésitant pas à reprendre un mot certes stupide de Jean Louis Barrault sur «ce crétin de Voltaire». De fait, la vie littéraire dalors est encore dominée par un ensemble de dogmes et par un Parti Communiste qui y applique, comme ailleurs, ses méthodes de terreur. Fidèle à lesprit du Canard, R. Fallet est donc dune impertinence réjouissante et sattaque à lOlympe. Tout cela est bien rafraîchissant.
Mais le vilain petit canard sait également se faire tout miel pour quelques élus (Cendrars, Brassens alors inconnu
) et reste en général assez conciliant avec lensemble des littérateurs. On le voit disserter habilement sur un Boris Vian ou sur un Lovecraft (car il nhésite pas à aller du côté de la peinture, du fantastique ou des écrivains morts depuis des lustres), sarrêter un instant pour sincliner avec passion devant un livre qui la touché (Vahé Katcha). Les amateurs du Canard enchaîné, et tous ceux qui se sont dit un jour, à la lecture dun ouvrage remarquable et ennuyeux, quils ne comprenaient pas les jurys des prix, apprécieront cet exercice de style dune franchise parfois trempée dans du vinaigre. Pas deffet de mode, ni de parisianisme, ou desprit germanopratin chez Fallet ! Lensemble des textes très courts révèle déjà un talent réel, de la verve, une certaine truculence teintée dimpertinence, que les amateurs de lécrivain, plus bonhomme en vieillissant, découvriront.
Après avoir publié récemment, aux mêmes éditions, une série darticles politiques de Marcel Aymé, Michel Lécureur, biographe de M. Aymé et éditeur de son uvre dans la Bibliothèque de la Pléiade, change de héros (mais les amateurs de lun apprécieront probablement les colères de lautre) et livre à un lectorat curieux quelques péchés de jeunesse dun écrivain désormais consacré. Dans un format très agréable, et avec une présentation claire, il propose un choix de textes assez large pour donner un aperçu de cette chronique hebdomadaire. Certes, lappareil de note est plus que léger, et une courte biographie du jeune Fallet aurait été utile, mais tel quel, louvrage se laisse agréablement parcourir et, à désormais un demi siècle de distance, il est encore possible de sourire, de réagir, bref de prolonger le travail de Fallet. Encore une postérité quil naurait pas envisagée !
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 06/10/2004 ) Imprimer | | |