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Littérature  ->  Essais littéraires & histoire de la littérature  
 

Dolci agonie
Michel Schneider   Morts imaginaires
Gallimard - Folio 2005 /  7.50 € - 49.13 ffr. / 409 pages
ISBN : 2-07-031462-6
FORMAT : 11x18 cm

Edition originale : Grasset & Fasquelle, 2003.
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Les Morts imaginaires de Michel Schneider sont autant d’irruptions dans les parages des agonies les plus intimes, les plus douces, les plus délirantes ou les plus douloureuses. De Montaigne à Truman Capote, elles nous invitent à renouveler les adieux définitifs, à revivre sans fin les ultimes instants, ceux où tout se joue, se noue et se dénoue d’un même mouvement.

"Un écrivain est quelqu’un qui meurt toute sa vie, à longues phrases, à petits mots" est-il dit dans l’avant-propos du livre. Partant de cette certitude, Michel Schneider, fasciné par les biographies d’auteurs, et plus encore par leur finale, se fait par procuration «l’autothanatographe» de ses grands disparus. Il suit Nerval l’inconsolé dans l’impasse où il se pendra et Tolstoï, l’octogénaire fugueur, jusqu’à sa dernière gare. Il découd les pans du vêtement où Pascal dissimulait le témoignage flamboyant de sa révélation, il décrypte les dernières lignes du journal de Stendhal et transcrit les ultimes délires de Maupassant, «mort à quatre pattes, aboyant et bavant», tout occupé à lécher un mur... Pour évoquer ceux qui passèrent sans prononcer de mot historique ni, comme Bernanos s’exclamant «A nous deux !», de défi à l’au-delà, Schneider se réfère aux lettres d’adieu, aux poèmes ou aux notes jetées à la hâte sur le papier, avant que la vie s’engouffre définitivement corps et âme en zone inconnue.

Il nous présente ceux, au bout de l’épuisement, qui murmurent «c’est assez», et ceux qui, opprimés, angoissés, lancent un «c’est trop» déchirant ; ceux qui en veulent plus, ne serait-ce qu’un rabiot, d’un jour, d’une heure, ou ceux qui, tel Gide, se déclarent satisfaits avant d’entrer dans le plus parfait repos. Il y a ceux dont on ignorera toujours les derniers moments, prenant congé comme les chats, en solitaire, loin d’eux-mêmes et du monde, tel Robert Walser retrouvé la face enfouie dans la neige après sa plus longue promenade. Il y a les suicides en couple, comme celui de Stefan Zweig et de sa compagne, alors en exil au Brésil. Il y a les morts brouillonnes, décidées à la va-vite parce que la misère ou le mal-être pressent, et les sorties préparées longtemps à l’avance. Il y a les disparitions inadmissibles et, plus cruellement, les départs banals à la hauteur d’une vie faite de déception. Il y a enfin ceux qui, déjà fantômes de leur vivant, ne laissent ni trace ni dépouille ni manuscrit inachevé sur lequel spéculer ; à peine peut-être une vague histoire de valise disparue, comme celle qui ne quittait jamais Walter Benjamin et dont on ne saura jamais ce qu’elle recelait.

La trentaine de récits que compte le recueil se répondent ou se recoupent. D’abord parce que l’auteur dont on assiste à l’agonie a été le proche, l’ami, voire le témoin de la disparition de l’un des précédents. Et surtout parce que, ce que Schneider tente en fait de dégager de toutes ces figures au seuil de la tombe, c’est leur rapport au langage, au silence, aux mots, bref à la littérature. Son évocation de Walser : «Son corps est une tache d’encre que boit la neige», pourrait se décliner pour chacune des figures qu’il a retenues : la matérialité véritable des auteurs ne se retrouve finalement que dans leurs livres et les mots qu’ils ont tracés ou proférés. Pour preuve mieux que nulle autre, cette étonnante image de Goethe muet sur son lit de mort, traçant dans le vide, devant lui, des lettres mystérieuses, dont un W que l’on pourrait charger de toutes les gloses possibles.

Michel Schneider a reçu le Prix Médicis de l’essai 2003 pour un ouvrage qui, il est vrai, donne à ce genre quelques belles lettres de noblesse. Placé sous l’égide des Vies imaginaires de Schwob, mais plus encore de Michel de Montaigne, ce livre est une déambulation strictement personnelle, érudite et sachant laisser place à une songerie qui ne se confond jamais avec du pathos romanesque. Il se dégage, à la lecture de la prose si fermement maîtrisée de ces pages, d’indéniables vertus consolatrices que l’ami stoïcien de La Boétie n’aurait guère reniées.

N’ayez pas de mouvement de recul si un(e) ami(e) vous offre ce livre dont un des mots du titre, si cru, si brutal, et de surcroît au pluriel, fait frissonner d’angoisse. Celui ou celle qui vous tendrait ce petit volume sait, comme Michel Schneider, que le réconfort absolu peut venir d’un seul livre, d’une seule phrase, d’un seul mot, fût-ce le dernier. Une telle personne ne vous veut donc que du bien.


Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 15/04/2005 )
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