|
Littérature -> Essais littéraires & histoire de la littérature |
| |
Du journal écrit au journal filmé | | | Véronique Campan Catherine Rannoux Le Journal aux frontières de l’art Presses universitaires de Rennes - La Licorne 2005 / 15 € - 98.25 ffr. / 246 pages ISBN : 2-7535-0074-6 FORMAT : 15 x 21 cm
L'auteur de l'article : Arnaud Genon est professeur de Lettres Modernes, enseignant à Troyes, doctorant à l'université de Nottingham Trent où il termine une thèse sur Hervé Guibert et membre du Groupe Autofiction ITEM (CNRS-ENS). Imprimer
Le journal a souffert et souffre encore dun certain mépris. Genre intime ou personnel, on accuse celui qui sy livre de narcissisme. Aussi, sa pratique étant liée à lidée de spontanéité et dimmédiateté on lexclut souvent, de manière arbitraire, du domaine purement artistique pour le reléguer au rang de pré-texte voire même de simple document. Comme le note Stéphane Roche dans létude quil consacre à Charles Juliet, il sagit dun « genre controversé, longtemps considéré comme une maladie relevant moins de lexpression littéraire que dune pratique honteuse » (p.56).
Cependant, si la critique est généralement peu favorable à la reconnaissance du genre, le présent ouvrage, à travers les quatorze contributions quil réunit, entend envisager le journal de manière différente, partant de la conviction que son dispositif « qui ne cesse de réfléchir sur sa pratique, porte la trace dune logique artistique » et qu « il interroge nécessairement les notions de geste artistique et duvre » (p.8). Fait intéressant aussi, le journal nest pas simplement considéré ici comme genre littéraire. La première partie du recueil intitulée « Pratiques et marges littéraires » prend en charge cet aspect alors que la seconde, « journaux filmés : formes hybrides » élargit lapproche aux pratiques vidéographiques peu souvent étudiées.
Les écrivains sur lesquels les différentes études se penchent sont pour la plupart des auteurs français du XX° siècle. Ainsi, Jacques Dürrenmatt aborde le travail dHervé Guibert en considérant précisément le rapprochement que lauteur de LImage fantôme opérait entre lécriture du journal et ce quil nommait une « écriture photographique ». Après avoir envisagé les caractéristiques stylistiques de ce que revêt lexpression « écriture photographique », le critique démontre que le journal de Stendhal serait révélateur dune véritable écriture « iconique », plus que celui de Goethe, sur qui Guibert sappuyait pour soutenir son idée.
Catherine Rannoux envisage Le Journal du dehors dAnnie Ernaux et étudie ce qui relève aussi dune « sorte décriture photographique du réel » (p.48). Elle nous rappelle tout dabord que lauteur cherche à travers cet ouvrage à atteindre la réalité, la vérité, par le biais dun dire défiant le « parti de lart », cest-à-dire par une absence desthétisation que Roland Barthes appelait « le degré zéro de lécriture ». Cest, entre autre, à ce prix là quAnnie Ernaux poursuit « sa quête du réel » se situant « au-dessus de la littérature », cet « au-dessus » constituant en fait « un renoncement au bien écrire » (p.44).
Intéressante aussi, lanalyse de Françoise Simonet-Tenant qui examine les journaux de J.H Lartigue plus connu pour son uvre photographique que pour son activité de diariste. Létude génétique menée par la critique révèle de manière pertinente que Lartigue, « autant de la captation, [est un] homme de la recomposition » (p.78) qui retravaille le brut de la matière du journal. Cette première partie se conclut par lexploration de journaux du XIX° siècle.
Le recueil souvre ensuite à la pratique du journal filmé. Les démarches de Jonas Mekas et Johan van der Keuken ou encore de Chantal Akerman et Raymond Depardon trouvent ici logiquement leur place. « Les journaux filmés de Joseph Morder » sont aussi considérés dans létude de Dominique Bluher. Ce créateur a, au fil des années, « déployé toutes les formes décritures personnelles possibles et imaginables : journal, autobiographie au sens restreint comme au sens large [
] autofiction, fiction dinspiration autobiographique
» (p.179). Lanalyse se penche sur le genre du « film-journal » que lauteur illustre à plusieurs reprises. Sont ainsi abordés le rapport entre le visible et le dicible, la présence et labsence ou le réel et la fiction afin déclairer le processus de création propre à ce mode « décriture » de soi.
Ce recueil a donc le mérite de ne pas enfermer le journal dans sa seule forme littéraire et denvisager aussi les processus créatifs mis en jeu dans les journaux filmés. Cette forme « décriture », souvent négligée, révèle cependant, grâce au présent ouvrage, sa capacité à se nourrir des genres avoisinants et à proposer ainsi des uvres riches et complexes, constitutivement hybrides, plus ouvertes sur lart que renfermées sur le « moi ».
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 22/06/2005 ) Imprimer | | |
|
|
|
|