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| Denis Demonpion Jean-François Patricola Houellebecq non autorisé - enquête sur un phénomène - et Michel Houellebecq ou la provocation permanente
Denis Demonpion, Houellebecq non autorisé - enquête sur un phénomène, Maren Sell Editeurs, 2005, 20 , 377 p.
Jean-François Patricola, Michel Houellebecq ou la provocation permanente, Écriture, 2005, 17,95 , 285 p.
Lauteur de larticle : Arnaud Genon est professeur de Lettres Modernes, enseignant à Troyes. Doctorant à lUniversité de Nottingham Trent (thèse sur Hervé Guibert), il est aussi membre du groupe Autofiction de lITEM (CNRS-ENS). Imprimer
En resterait-il beaucoup à apprendre sur Michel Houellebecq ? La récente parution de La Possibilité dune île a encore fait couler beaucoup dencre, plus dailleurs sur la vie de lauteur que sur son roman qui navait pas été distribué aux critiques littéraires. Aussi, de nombreux journalistes / critiques ont profité de la large couverture médiatique houellebecquienne pour tenter de nous démontrer - enquêtes, essais et pamphlets à lappui - que nous ne savions pas tout du phénomène littéraire et quil était temps de « tomber les masques ».
Bien sûr, au premier abord, on remarque que le marketing littéraire reproché à Houellebecq ne lui profite pas seulement. Denis Demonpion, Jean-François Patricola et leurs éditeurs lont bien compris. Par contre, nous pouvons parfois nous interroger sur la pertinence des études publiées sur Houellebecq en cette rentrée littéraire 2005. Nous pouvons légitimement nous demander si elles « surfent » sur la vague médiatique quelles dénoncent où si, au contraire, sintéressant davantage à laspect littéraire dune uvre quaux « scandales» de lécrivain, elles participent dun décryptage intelligent et utile.
« Lenquête » de Denis Demonpion est une biographie « non autorisée », documentée de manière rigoureuse. Les nombreux témoignages, comme ceux des parents de Houellebecq (Michel Thomas de son vrai nom) avec qui il nentretient plus aucune relation, de personnalités appartenant au monde littéraire (Frédéric Beigbeder, Dominique Noguez, Raphaël Sorin
) ou encore ceux des plus anonymes camarades de lINA ou de Louis-Lumière, viennent éclairer, il est vrai, une personnalité secrète, rétive à toute forme de confession. Nous suivons ainsi lenfance de lauteur des Particules élémentaires, tantôt pris en charge par ses grands-parents maternels, par son père puis enfin par sa grand-mère paternelle, Henriette, à qui Houellebecq voue un grand respect. Cest elle qui lélève. Cest à elle que Michel Thomas emprunte son nom décrivain. Demonpion sintéresse ensuite au parcours universitaire de lauteur, à ses études à lINA puis, ne trouvant pas demploi, à sa bifurcation vers lunivers cinématographique de Louis-Lumière.
Est mise aussi à jour la façon dont Michel Thomas se métamorphose en personnage Michel Houellebecq, comme en témoigne, entre autre, ce que Demonpion appelle « les petits arrangements avec létat civil » (Houellebecq dit avoir deux ans de moins que son âge véritable). Plus significative encore, la transformation ou lévolution idéologique qui seffectue au gré des rencontres. La fréquentation des textes de Lovecraft (auteur américain raciste et ultra-réactionnaire mort en 1937) puis lécriture dun essai lui étant consacré nest pas anodine dans le parcours houellebecquien. De même, la rencontre avec la secte raëlienne, nous le constatons à la lecture de La Possibilité dune île, participe dune radicalisation des positions de Houellebecq sur le clonage (de lusage thérapeutique à la reproduction de lhumanité).
Si tous ces aspects ne sont pas dénués dintérêts, ils ont cependant leurs limites. Cela est dautant plus flagrant lorsque Demonpion tente déclairer luvre de Houellebecq à la lumière de sa vie. Les parallèles entre lécrivain et ses personnages ou la comparaison dépisodes de la vie intime avec certains extraits romanesques révèlent rapidement des problèmes méthodologiques quant à lappréhension de lobjet littéraire. Tout dabord, cette approche tend à réduire le travail de création littéraire à une simple transposition du vécu. Ensuite, donnant au biographique une trop large place, elle omet dinterroger les uvres dun point de vue stylistique, thématique ou idéologique. De ces aspects, il nest peu ou pas question. Et cest en cela que louvrage déçoit : à nous expliquer précisément comment Thomas devient Houellebecq, on en oublierait que Houellebecq (faut-il le rappeler ?) est avant tout un véritable écrivain. Mais envisager cet aspect (passionnant, lui) demanderait un retour sur les textes qui irait au-delà dune comparaison vie / uvre.
Létude de Jean-François Patricola, Michel Houellebecq ou la provocation permanente, cherche moins à révéler lhomme que la stratégie de lécrivain - si tant est quil en ait une - mise en uvre pour conquérir son lectorat. Pour ce faire, Patricola sintéresse, dans un premier temps, aux raisons du succès que rencontre Michel Houellebecq depuis la publication, en 1994, dExtension du domaine de la lutte. Bien sûr, les rumeurs, les provocations, les déclarations polémiques, les déboires judiciaires et leurs répercussions médiatiques jouent un rôle important dans le parcours de lauteur et justifient, en partie, le niveau de notoriété quil a atteint en un temps record. Mais dire, comme lavance Patricola, que Houellebecq « développe [
] une ligne publicitaire dans ses écrits » (p.78) semble réduire lécrivain à un professionnel en marketing et ses lecteurs à de simples consommateurs passifs dénués desprit critique. Cest aussi, une fois encore, reléguer lobjet littéraire au second plan.
Dans le deuxième chapitre, lanalyse se penche précisément sur les textes houellebecquiens, à commencer par lessai consacré à Lovecraft. La première thèse de Patricola consiste à arguer que létude de Houellebecq nest en fait quune paraphrase, voire un plagiat du Cahier de lHerne qui avait été publié sur lauteur américain. Preuves minutieuses - et parfois si tatillonnes quelles en deviennent lassantes - à lappui, il démontre le manque doriginalité et le caractère daté de lexamen critique que proposa Houellebecq. Si le raisonnement de Patricola savère fondé, il faudrait souligner que le texte de Houellebecq nous en apprend davantage sur lui-même, sur son imprégnation culturelle et ses penchants idéologico-philosophiques que sur Lovecraft. Et cest peut-être là la véritable visée de ce texte. Un parcours à travers différentes thématiques est ensuite proposé, lauteur évoquant tour à tour la place de la science, leugénisme, ou encore la représentation de la femme chez Houellebecq, « professeur de désespoir », comme le remarquait déjà Nancy Huston en 2004.
Puis, les références auxquelles à recours Houellebecq sont envisagées : celles au romancier Aldous Huxley ou au physicien Niels Bohr. Elles seraient révélatrices, selon Patricola, dune incapacité pour Houellebecq - comparé pour loccasion à une éponge - à être novateur. Mais dans cette perspective, que faudrait-il penser de Balzac inspiré du savant naturaliste Geoffrey Saint Hilaire, de Zola empruntant les théories de Taine ? On le voit, tous les arguments proposés par le critique ne sont pas toujours convaincants. Il en va de même pour lévocation des clichés présents, en effet, dans les textes de Houellebecq. Au simple référencement proposé ne fait suite aucune analyse qui tenterait dexpliquer le rôle et la place des topoï chez lauteur. Lapproche proposée est la suivante « Quoi de plus normal que, dans une société dominée par limage, lauteur convoque les clichés en nombre » (p.197). Nest-il pas là, le vrai lieu commun ?
Si Michel Houellebecq nest peut-être pas le grand écrivain quil dit être, le génie que certains voient en lui, il nest assurément pas non plus le simple commercial de son « entreprise » littéraire. Écrivain polémique, polémiste bien sûr. Mais qui a le mérite de ne pas laisser indifférent, de déconforter aussi parfois. La vraie morale de ces publications sur Houellebecq est peut-être la suivante : à trop dénoncer le marketing houellebecquien, on devient un des rouages dun marketing anti-Houellebecq. A trop mettre les lecteurs en garde sur les supposés manques doriginalité ou dintérêt de ses textes littéraires, on finit par écrire des essais superflus qui passent à côté de lessentiel : la littérature.
Arnaud Genon ( Mis en ligne le 14/10/2005 ) Imprimer
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