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Littérature -> Essais littéraires & histoire de la littérature |
| Richard Millet Désenchantement de la littérature Gallimard - NRF 2007 / 5.50 € - 36.03 ffr. / 65 pages ISBN : 978-2-07-078572-8 FORMAT : 14,0cm x 20,5cm
L'auteur du compte rendu : Essayiste, romancier, Jean-Laurent Glémin est titulaire dun troisième cycle en littérature française. Ayant travaillé notamment sur les sulfureux Maurice Sachs et Henry de Montherlant, il se consacre aujourdhui à lécriture de carnets et de romans. Il na pas publié entre autres Fou dHélène, LImprésent, Fleur rouge, Chair Obscure, Continuer le silence. Imprimer
Alors que 600 romans paraissent chaque année durant la rentrée littéraire, Richard Millet, lui, publie ce que lon peut appeler un pamphlet (Même sil refuse cette dénomination.) contre le roman contemporain, responsable selon lui du déclin de la littérature. Il livre dans ce court essai un constat implacable, amer et lucide sur le destin et la mort probable de cette dernière. Une mort annoncée, voulue, déterminée par lesprit actuel même si les professionnels de lédition publicitaire - se vantent de dire le contraire.
Sa réflexion sappuie sur les causes de ce désenchantement, pour ne pas dire décrépitude ou déchéance, en revenant à la fois sur le contexte éditorial actuel, la politique culturelle édifiante, lenseignement dévalorisant de la langue et sur sa vision personnelle (du coup contestable) de la littérature. Il récuse de manière véhémente le nihilisme actif (et dun cynisme remarquable) qui domine dans ce monde moderne basé avant tout sur le mensonge. Il écrit : «Linversion des valeurs est une fiction non pas en tant que source de nouveauté ni parce quelle se fonde sur la mort naturelle de lancien, du révolu, mais parce quelle est la voix même, et rien dautre, du nihilisme actif : au sein dune civilisation rongée par le mensonge, le roman serait donc une des voies daccès à la grammaire du monde» (p.26).
Car son cheval de bataille, cest la langue, lexpérience profonde de la langue que la civilisation actuelle tend à dénigrer, à dévaloriser, à réduire en contaminant du coup le style littéraire par sa médiocrité. Millet cite les grands auteurs : Montaigne, Bossuet, La Bruyère, Montesquieu auxquels il oppose les décadents daujourdhui, sorte de saboteurs opportunistes qui se disent écrivains alors quils ne sont quauteurs, et encore, cest leur rendre hommage ! Mais ces questions semblent dépasser le simple cas de la littérature car elles brassent tout un changement idéologique, économique et religieux qui conduit inexorablement à un bouleversement de la civilisation. Millet parle de la post humanité qui rabaisse ces domaines artistiques.
Loin de la querelle des anciens et des modernes (on la regretterait presque !), Millet expose sa théorie avec soin, dévoilant son amour de la belle langue, du style soigné, de cette grammaire qui lui tient tant à cur et qui est en train de disparaître des programmes scolaires qui se basent sur loffre et la demande du relativisme culturel plutôt que sur son histoire linguistique et morphosyntaxique. La littérature sinscrivant aussi sur ce constat. Sous cet angle de vue, Millet écrit un peu plus loin : «Une doxa qui caractérise notamment une production littéraire semblable à des eaux mortes où se réfléchit le ciel vide ces eaux fussent-elles lécran de la télévision dont on ne rappellera jamais assez quelle est vulgaire par nature, et par fonction pernicieuse, ce panoptisme tautologique ne pouvant quêtre réducteur, consensuel, donc totalitaire (...)» (p.29).
Le débat fait rage depuis quelques décennies. On regrette que Millet ne cite pas ses collègues écrivains qui partagent cet avis sur la question. Il se dit seul, il ne lest pas (Clair, Finkielkraut, Muray, Duteurtre, même Nabe développent des idées allant dans ce sens.). Le problème est si évident quune opposition nette entre écrivains commence à se faire.
En fait, si le libéralisme libère à dose planétaire le consumérisme, le divertissement de masse, la mort de lart et lère de «la festivisation», le débat sur le genre romanesque et les sous-genres fait rage depuis des siècles. Même sil a quelque peu permuté Scarron était considéré comme un ringard parce quil écrivait des romans, considérés comme un sous-genre, et Hugo dans une célèbre préface, tentait de remettre les choses en ordre. Lennui cest quaujourdhui le roman (en particulier le roman anglo-saxon) a fait éclater les autres genres littéraires, effaçant du même coup la richesse de la langue et ne permettant quun seul et unique genre. Or Millet, sil sappuie sur des faits dune exactitude indéniable, fait dune certaine manière de lidéologie en vantant schématiquement le christianisme (par opposition à lislam), lhétérosexualité, la nation (par opposition à lEurope), la race, et la seule littérature moderne quil apprécie (Céline, Green, Claudel, Kafka, Cioran
), en excluant le reste et jugeant trop vite certains grands noms de la littérature (Comme Philip Roth.). Si repérer et critiquer cette dégénérescence culturelle est la bienvenue, on peut reprocher à Millet dappartenir lui aussi à une caste littéraire qui ne voit que par la religion catholique, lhétérosexualité, la nation, la race et lélitisme. Ce qui lengage à sa manière dans un point de vue qui peut être discuté, voire réfuté.
Bien évidemment, en pleine idéologie du relativisme culturel, un pareil livre ne pouvait que soulever les foudres de la classe bien-pensante et du politiquement correct. Ces chiens de garde de la littérature nombriliste, se vantant de leur grande tolérance, nont pu sempêcher de lancer contre Millet les attaques traditionnelles de réac, de raciste et autres quolibets sympathiques. Attaques auxquelles a répondu ce mois-ci lécrivain en publiant un très bon recueil daphorismes : LOpprobre.
Millet est un cas intéressant dans la littérature actuelle, significatif, unique presque. Et on le suit volontiers dans cette démarche car lon préfère défendre ceux qui tiennent la verticalité comme valeur (Expérience de la langue, élitisme, beauté esthétique.) plutôt que lidéologie dominante de lhorizontalité, qui au bout du compte, méprise ses lecteurs pour en faire de bon vieux consuméristes incultes et réduire à néant lart tel quil pouvait encore exister jusque dans les années 50.
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 26/03/2008 ) Imprimer
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