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Littérature -> Classique |
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''Tout projet est irréalisable et terrifiant'' | | | Géza Csáth Dépendances L'Arbre vengeur 2009 / 15 € - 98.25 ffr. / 272 pages ISBN : 9-782916-1413-67
Traduction du hongrois et préface de Thierry Loisel.
Postface de Jean-Philippe Dubois. Imprimer
Au côté duvres comme Morphine de Boulgakov ou Roman sous cocaïne dAgeev, le journal intime de lécrivain hongrois Jószef Brenner apporte un témoigne direct des ravages que peut provoquer la drogue sur lindividu dont elle sempare.
Cousin du grand Dezsö Kosztolànyi, Brenner simposa, sous le pseudonyme de Géza Csàth, comme un acteur de premier plan de lavant-garde artistique hongroise. Ses nouvelles, contemporaines en temps et en thèmes de celles dArthur Schnitzler, remportèrent un vif succès et témoignent de son exploration, par le biais de lécriture, des théories freudiennes. Il faut dire que Csàth fut aussi un éminent psychiatre et quil signa à vingt-cinq ans un essai qui fit sensation parmi ses pairs, sur Le Mécanisme psychique de la maladie mentale.
Voilà qui nest déjà pas mal pour un auteur mort à laube de la trentaine ! Et son activité ne se limita pas, loin sen faut, à sa table de travail. À lire les pages consacrées aux seules années 1912 et 1913, le lecteur découvre les confessions dun authentique séducteur, et pour cause : à cette époque, Csàth se repaissait du journal de Casanova, quil érigea en maître à vivre. La fidélité dâme et de cur quil professait envers son Olga dépouse nempêcha donc en rien le praticien, à labri de son cabinet de consultation, de tâter sous le chemisier de ses patientes, voire de les trousser sans chichi, quels que soient leur âge, leurs maux ou leurs difformités (lire à ce propos la tentative de séduction de la quinquagénaire à gibbosité : un moment danthologie !).
Cette recherche effrénée du plaisir tourne à laigre quand elle entre en conjugaison avec une autre addiction : celle à la morphine que Csàth sinjecte quotidiennement. Comme lexplique très bien Thierry Loisel : «Csàth est érotomane, certes, et graphomane, mais il est aussi morphinomane. Sa vie comme son écriture ne cesseront de sarticuler autour de ces trois pôles, de ces trois obsessions selon une hiérarchie perpétuellement mouvante. [
] le Journal développe, tout un jeu combinatoire entre ses trois manies qui simbriquent et se relaient pour finalement former une implacable logique de langoisse».
«Angoisse», le mot est lâché. Comme tous les gourmands de lexistence, comme tous ceux qui tentent datteindre le zénith, Csàth sombre souvent au nadir de la dépression. Les corps de ces conquêtes ne lui suffisant plus, il sengage dans un périlleux flirt avec des substances diaboliques, auxquelles sa profession lui laisse tout le loisir daccéder. Lécriture lui tient lieu dexutoire autant que de thérapie : certains passages sont ainsi consacrés à létablissement de bonnes résolutions ou de conseils à suivre, auxquels, bien sûr, il lui est impossible de se conformer.
Dépendances, sil nest peut-être pas à proprement parler luvre la plus aboutie au niveau scriptural de Csàth, constitue cependant un document de première main sur le déséquilibre et la déchéance progressive dun homme que tout conviait à devenir un grand esprit. Jamais les multiples cures de désintoxication quil subira nauront raison de son vice. «Je ne dois pas me laisser abattre. Jai confiance dans mes talents, et avec de la persévérance, je finirai par obtenir des résultats. [
] Je ne dois pas perdre de vue mon objectif ! Il faut que je le garde en point de mire. Il est toujours là devant moi, succès littéraire mondial, poste de médecin au sanatorium, pas trop pénible et princièrement rétribué, dans un bel hôtel avec terrasse, chaussures de tennis blancs, un bon cigare, une chambre à coucher raffinée, un cabinet dune élégance sidérante, des livres, des travaux littéraires de qualité, non contraignants mais toujours en progrès, la musique, [
], des voyages, des Premières en Allemagne pour mes pièces de théâtre, plus tard des enfants, un ou deux
»
Le 22 juillet 1919, soit sept ans après voir tracé ces lignes bercées dillusions et de grands projets, Géza Csàth / Jószef Brenner abattait son épouse de trois balles, avec pour seul témoin de la scène la petite fille dont il doutait être le père. Le 11 septembre, lui-même mettait fin à ses jours, en sempoisonnant.
Frédéric Saenen ( Mis en ligne le 26/10/2009 ) Imprimer | | |
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