Henri Barbusse Le Feu Gallimard - Folio 2013 / 6.20 € - 40.61 ffr. / 492 pages ISBN : 978-2-07-045464-8 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm Imprimer
Henri Barbusse (1873-1935) est rentré dans la postérité littéraire pour ce roman, Le Feu, écrit durant les premiers mois de la Première Guerre mondiale. Publié dabord en feuilleton puis en intégralité en 1916 (la guerre nest donc pas finie), il remporte le prix Goncourt que lon décernait encore malgré lampleur du conflit !
Luvre du combattant est relativement dense mais lon ne retiendra que deux titres, LEnfer (qui aurait pu intituler aussi le roman qui nous occupe ici), et Le Feu dont les carnets tenus par lécrivain durant la guerre a permis lélaboration romanesque. En effet, quelques personnages récurrents portent le nom de ses camarades rencontrés au combat et pour certains tués : Volpatte, Fouillade, Barque, Farfadet, Eudore, Paradis, Poilpot, Poitron, etc., et les dialogues rapportés ont une bonne part dans lintérêt dramatique.
Le Feu s'inscrit dans le genre du roman de guerre tel quil a été conçu au 20ème siècle (Dorgelès, Genevoix, Faure, Montherlant sinscrivent également dans cette tradition littéraire française en rapportant leur expérience de guerre). Il rend compte de tous les paramètres du quotidien dun soldat, que ce soit dun point de vue existentiel ou dun point de vue plus matériel. Il sagit de transmettre au lecteur une expérience inédite et terrifiante dun côté et un quotidien banal et ennuyeux de lautre. Du coup, le lecteur est le témoin privilégié dune escouade en prise avec la réalité qui se traduit souvent par lattente, le combat, puis la désolation. La peur, langoisse, la dépression, le moral, les sentiments, la pitié pour ce qui est de la dimension psychologique ; les assauts, le froid, la saleté, les morts, la boue, le sang, le feu pour ce qui est du rapport au matériel. Barbusse, en tant quécrivain témoin, relate, au moyen de la langue quil adapte en fonction de lorigine géographique ou sociale de ses protagonistes, les discussions entre hommes, les longues gardes, les déplacements, les combats, les disparitions, les tranchées. Lidée est de rendre également hommage à ses combattants anonymes, ces braves types sacrifiés, ces soldats héroïques, ces gens banals confrontés à lexceptionnel.
Céline a du simprégner du Feu pour composer son Voyage tant il est également question du langage dans son texte. Le langage qui permet didentifier socialement des combattants de tout bord, qui ont risqué voire perdu leur vie dans le feu des combats. Ce même langage qui permet den rendre compte de manière directe, sans fioriture et en même temps avec la sensibilité de lécrivain soldat qui vécut avec eux.
Les limites du genre se confondent avec les limites dune guerre. En effet, si lon prend en considération lénorme absurdité de «ce cloaque de sang et de boue» comme le disait André Breton à propose de 14-18, il ny a pas grand-chose à dire de plus ; Le Feu, roman très bavard, est en fait une chronique du vide et de lennui qui encadrent des moments de rage et les crimes de masse. Le roman de Barbusse, sil a marqué plusieurs générations dhommes, entame assez mal ce début de 21ème siècle qui peine à se représenter cette réalité dil y a 100 ans. Les guerres technologiques ont remplacé les guerres de position et font peut-être oublier Le Feu, vibrant hommage aux poilus, aux contemporains et amis qui ont souffert durant cette terrible boucherie...
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 17/06/2014 ) Imprimer |