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Cruelles nouvelles
 Villiers de l'Isle-Adam   Le Convive des dernières fêtes
Panama - La Bibliothèque de Babel 2007 /  20 € - 131 ffr. / 123 pages
ISBN : 978-2-7557-0273-6
FORMAT : 12,5cm x 22,5cm
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Auteur des fameux Contes cruels dont sont tirées quelques-unes des nouvelles présentes ici, on retrouve Villiers de L’Isle-Adam (1838-1889) dans ce genre qu’il affectionnait particulièrement. Sept nouvelles étranges, sombres, cruelles figurent dans ce recueil proposé par le grand écrivain Jorge Luis Borges dans la collection qu’il avait dirigée et qui commence à être rééditée en France. L’on y croise un bourreau en mal d’exécutions, un forçat aveuglé par l’espérance, une reine emportée par l’orgueil, ainsi que toute une série de personnages révélant soit un secret, soit une histoire, bref, un élément crucial qui va entraîner le lecteur ou clore le conte.

Auteur catalogué «symboliste», Villiers admirait les Histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe, et c’est un peu de cela que l’on retrouve dans ces courtes histoires baignées de cette fameuse «inquiétante étrangeté» où l’on subit ces atmosphères obscures et oppressantes tout en côtoyant cet humour à froid qui permet un certain décalage, et ces classiques chutes cruelles qui nous rappellent brutalement que la réalité est toujours plus cinglante que le fantasme volontairement opéré jusqu’ici par l’auteur. Le tout tamisé par un style élégant, jamais emphatique mais alliant grâce, hauteur et simplicité. On jubile à la lecture de ses contes car le trivial est lié à l’horreur, la médiocrité des uns à la valeur des autres, les secrets enfouis à la réalité démasquée.

Chaque conte, bien que différent dans son intrigue, cache un secret, propose un doute, insiste sur le caractère unique d’un personnage, décrit une situation infaillible afin de tromper le lecteur qui d’un coup hésite entre le vrai et le faux, le fantasme et le réel, le sordide et le fantastique. Et Villiers, en manipulateur cynique, propose, à travers les codes bien connus du genre fantastique, de déjouer ce mystère par l’impact brutal d’une réalité implacable. On s’interroge sur les pouvoirs de tel ou tel personnage avant de voir qu’il fait partie du commun des mortels et que c’est le réel qui est trompeur, portant en lui les signes infaillibles de l’étrange.

Chacune des courtes nouvelles se passe dans un passé proche ou plus lointain, ce qui donne au conte sa valeur universelle, inscrite dans le temps, donc vraie et dont on peut tirer un enseignement important. Villiers démasque le genre fantastique en appliquant l’étrangeté du réel à ses contes. Pour lui, c’est la réalité qui est avant tout fantastique, c’est la complexité et l’intelligence des hommes qui défient l’entendement. C’est la cruauté peinte dans les précipices de l’âme qui transcende le réel. Ces contes typiquement inscrits dans l’univers noir du XIXe siècle (n’oublions pas que le roman noir arrive au début du XIXe siècle en Angleterre), se lisent avec ce double plaisir : le raffinement du style qui sert l’étrangeté et la cruauté du climat, eux-mêmes renforcés par les descriptions impressionnistes foisonnantes.

Borges, dans sa préface, parle d’un enfer d’ordre moral qui passe avant le reste. Les tortures physiques infligées aux personnages sont très vite évoquées, comparées à ce qu’ils ont subi ou subiront psychologiquement. Dans la nouvelle éponyme, Villiers ne révèle qu’à la fin les sombres activités du personnage-intru ; et s’il développe peu sur ses faits passés, il insiste sur la sombre folie de ce dernier qui d’un coup paralyse l’assemblée avec qui il a passé la soirée. Or, de toute évidence, cette soirée s’est passée sans dommage. L’enfer moral est chez ce personnage qui la transmet ensuite aux autres, bouleversant d’un coup la première perception qu’ils avaient. Le bain de sang est dans les têtes ; la violence sournoise et la cruauté n’en sont que décuplées. Citons ici un passage, a priori sans importance dans la nouvelle mais dont la finesse et la violence du propos montrent insidieusement la tonalité du recueil, s’intéressant davantage aux ravages cliniques qu’à l’horreur physique :

«Celle-là, ne la rencontrez pas, jeune étranger ! L’on vous assure qu’elle est pareille aux sables mouvants : elle enlise le système nerveux. Elle distille le désir. Une longue crise maladive, énervante et folle, serait votre partage. Elle compte des deuils divers dans ses souvenirs. Son genre de beauté, dont elle est sûre, enfièvre les simples mortels jusqu’à la frénésie»

Borges avait recueilli ici quelques nouvelles caractéristiques de la littérature noire du XIXe siècle où le drame psychique, la folie, la maladie, le conflit intérieur prédominent sur le côté horrifique pur et simple. On pense à Poe bien évidemment, mais aussi à Barbey, à Huysmans, qui ont su si bien décrire l’enfer moral de leurs personnages minés par la perspective de la folie et de la mort. Chaque personnage vit dans un mirage avant d’être soufflé par la réalité qui un jour ou l’autre vient sonner à sa porte. Le dernier conte, Véra, clôt de manière symptomatique le recueil en incluant jusqu’à l’extrême l’illusion qui pèse sur le personnage d’un mari endeuillé et la dualité qui règne entre l’imaginaire et le réel. Jusqu’à ce qu’un indice fatal vienne d’un coup le stopper dans sa course fantasmagorique en lui montrant le seul chemin à suivre, aussi fatal soit-il… Sur ce point, Villiers de l’Isle-Adam ne fait pas de cadeaux. «Il s’agissait de créer un mirage terrible.»


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 15/10/2007 )
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