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Littérature  ->  Poésie & théâtre  
 

Guitry en sept pièces
Sacha Guitry   Anthologie théâtrale
Perrin 2007 /  20.50 € - 134.28 ffr. / 440 pages
ISBN : 978-2-262-02673-8
FORMAT : 14,0cm x 22,5cm
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«Je suis content de moi parce que, ne m’étant pas marié, je ne trouve pas le soir, en rentrant, une dame qui a mon âge et qui aurait des bigoudis en plus…» - Sacha Guitry, Le Veilleur de nuit, 1911.


Cette tirade pour le moins claire du «Monsieur», vieillard lucide et amoureux d’une jeune femme volage, qui pour la garder et s’assurer qu’elle ne le trompe pas en son absence, se satisfait de l’amant sympathique qu’elle a trouvé, n’éprouvant du coup plus de crainte qu’elle continue à le faire, résume assez bien le ton adopté dans l’œuvre de Guitry. Ce personnage du Veilleur de nuit est un sage à double titre, par son âge et son statut de philosophe reconnu et respecté, qui lance à son «rival» cette phrase définitive sur la question du couple et du mariage. Ode à la liberté en amour s’il en est, à la recherche du plaisir peut-être, en tout cas plaidoyer féroce contre les institutions construites autour du couple, qui n’ont pour conséquences inéluctables que le mensonge, la trahison, la feinte et l’adultère. Constatation amère de l’impossibilité radicale de ce dernier au profit d’une quête proprement illusoire mais dont le seul attrait reste la séduction et le plaisir facile.

Car Guitry a mêlé dans son théâtre, que l’on peut qualifier de vaudeville, du moins au début de sa carrière, la farce tout d’abord pour répondre au genre puis la férocité grâce à un style souvent sans complaisance et enfin une lucidité propre aux grands auteurs conscients du grand cirque affectif qui touche le cœur des femmes et des hommes. Trois degrés d’analyse pertinente qu’il gère grâce à la représentation théâtrale qui privilégie en premier lieu une situation unique et concrète, le dialogue, et la complicité du public pris à témoin. Il a combiné ainsi, dans une structure scénique assez simple, dénuée d’artifice, trivialité quotidienne et sentence implacable, littérature populaire et constat glacial, dialogue comique et universalité du discours. En cela, son théâtre est assez ravageur, souvent drôle, sensible, jamais vulgaire, toujours mordant et en proie au désenchantement amoureux.

C’est l’historien Alain Decaux qui propose cette anthologie théâtrale en décidant de présenter et d’inclure sept pièces célèbres de Sacha Guitry. Celle-ci a pour but premier de faire connaître au public profane un aperçu significatif de ce que furent le talent et la verve du dramaturge, et il est vrai que le choix a dû être cornélien lorsque l’on sait qu’il en reste 118 à découvrir ! Sept pièces tournant autour du couple, de ses combines, de ses contraintes, de ses illusions, parfois même de sa force, le tout espacé dans le temps, et qui vont de Nono créé sur scène en 1905 au succès populaire Désiré paru en 1927. 22 ans de vaudeville avec souvent pour thématique une triangulaire classique entre un couple et un élément perturbateur qui va faire éclater en lambeaux le socle déjà fragile d’une union en montrant qu’elle ne demandait qu’à s’effondrer. Quand ce n’est pas un amant qui vient semer la pagaille, c’est une femme qui quitte son mari ou une rencontre fortuite qui s’impose. A chaque fois, la pièce est centrée sur une imposture ou une absence. Mais pour ne pas déprimer tout le monde, Guitry sait user de son talent de conteur, de dialoguiste subtil, et surtout de comique sensible pour apaiser quelque peu le drame du couple dont il détaille les enjeux, les raisons, et les failles préalables à sa chute. Quoiqu’en avançant dans l’œuvre, on distingue nettement une évolution du traitement. On passe pour ainsi dire de la farce pure à la comédie amère, voir dramatique.

L’exagération, le ridicule de dizaines de répliques absurdes utilisant des jeux de mots volontairement si mauvais qu’ils en deviennent comiques abondent dans l’œuvre de Guitry. Comme dans Nono pour ne citer qu’une occurrence, le jeu de mot assez gratuit instaure une sorte de brève coupure avec la dramaturgie et permet un moment de sortir de l’intrigue au nom du comique pur, petit relâchement en quelque sorte :

Jules. – C’est une dépêche, monsieur.
Robert. – Une des pêches du jardin qui est mûre ?
Jules. – Non, une dépêche en papier.
(Â…)
Robert. – Oh !
Jules. – Un malheur ?
Robert. – Non ! mon oncle est mort !


Osons une comparaison avec le théâtre racinien qui usait d’un style très sobre pour exprimer la fatalité humaine promulguée par des dieux féroces et les passions dévastatrices des personnages pour dire que Guitry, dans un tout autre genre, utilise le comique de situation, de langage ainsi qu’une certaine simplicité de style pour contrecarrer quelque peu le propos assez noir qui est sous jacent, du moins dans ses premières pièces.

Guitry semble se ficher des conventions et de la pression des critiques littéraires, il écrit un théâtre vraiment piquant, drôle souvent, intelligent, sans fioriture, allant directement à l’essentiel, ce qui est la plupart du temps le signe des grands auteurs. Une lucidité assez grave, une vision existentielle et un talent d’écriture marquent donc ces sept pièces. Car derrière cette vision pessimiste, les caractères fort drôles ou pathétiques ne sont jamais stigmatisés, Guitry étant trop conscient des défaillances sensibles à l’âme et au cœur humain ; d’où une espèce de tendresse témoignée à ses personnages, qu’ils soient victimes ou plus volontaristes. Même si parfois, il a la dent dure.

Stylistiquement parlant, il faut tout de même souligner que les répliques fusent, sans jamais se perdre dans la lourdeur. On est, et cela n’est pas sans logique, assez proche d’un Feydeau dans la construction, et la morale de chaque pièce. Peu de décor, peu de bouleversement trop radicaux mais une évolution constante vers le dénouement, parfois elliptique de façon à plonger le lecteur ou le spectateur dans la réflexion immédiate ou la constatation amère. Sa vision devient moins pessimiste et moins cinglante au fur et à mesure du temps, mais témoigne souvent d’une certaine mélancolie. Des pièces comme Mon père avait raison, Je t’aime ou Désiré en témoignent.

Car Guitry ne fait pas de cadeaux. Les hommes sont souvent des coureurs de jupons et les femmes leurs objets consentants ou pas. Jeu de chat et de souris, de dominants et de dominés où tous les coups bas sont permis. Trahison des couples, d’une amitié, d’une famille au nom du désir féroce de posséder, de courtiser ou de succomber. Chacun ment et se ment, calomnie et est calomnié, et le remord n’est pas de rigueur. La femme est parfois décérébrée (Comme dans Nono, où les deux protagonistes masculins se la jouent à la courte paille avec son consentement!), se laissant conduire là où l’on décide de l’emmener, refusant le choix, acceptant d’être courtisée par narcissisme et non par amour, ou encore fatale en quittant du jour au lendemain son mari, et se jouant de lui. Bref, Guitry n’est pas tendre (notamment avec les femmes), montrant un monde dominé par la concupiscence, le pouvoir de l’argent, et les intérêts mesquins.

En cela, Deburau (1918) et Mon père avait raison (1919) sont deux pièces proprement dramatiques où l’humour n’y est qu’éparse face à la gravité du discours (un peu pathos parfois, il faut en convenir). L’on parle là d’acteurs esseulés et incompris, d’hommes quittés et en proie à la solitude, au fatalisme et à la mélancolie d’avoir perdu l’être cher. Pièces quelque peu moralistes et pas tendres avec la gent féminine qui est souvent la cause première du drame que vivent les maris quittés. Alors, l’auteur laisse place à l’importance de la transmission d’idéaux ou de vertus importantes à avoir dans ces cas précis. On passe d’un coup de la comédie de boulevard avec ses déboires sentimentaux classiques au drame où gisent en surface les fêlures intimes, les ravages de l’amour et les regrets amers.

Désiré, la dernière pièce de l’anthologie semble être le compromis subtil entre la comédie et le drame. Tout y est maîtrisé, humour comme dialogue sérieux, on voit là des personnages «adultes», conscients de leurs failles et agissant en conséquence. On est assez loin de Nono, où tout était permis ou presque. C’est ainsi que se finit cette anthologie, somme toute honnête quant au travail éditorial, qui permet surtout de montrer le talent indéniable d’un homme à multiples facettes. Guitry en plus d’être le célèbre dramaturge que l’on connaît, a été aussi un grand acteur ainsi qu’un cinéaste avisé.


Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 27/07/2007 )
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