| Lou Andreas-Salomé La Cape magique Editions des Femmes / Antoinette Fouque 2007 / 15 € - 98.25 ffr. / 126 pages ISBN : 978-2-7210-0560-1 FORMAT : 13,0cm x 20,0cm
Traduction de Stéphane Michaud. Imprimer
Cest une idée intéressante de la part de léditeur de publier cette pièce inédite de Lou Andreas-Salome (1861-1937), probablement écrite en 1923. De cela, la bonne préface de Stéphane Michaud, qui est aussi le traducteur du texte, reste assez vague. Sil insiste sur laspect biographique de lauteur et donne quelques clefs de lecture, il névoque quasiment pas son uvre littéraire. Car Lou Andréas-Salomé na pas été que la muse de Rilke et la fameuse complice et patiente de Freud, elle a un parcours artistique derrière elle, qui renseigne sur lépoque et les grands génies quelle a fréquentés, notamment Nietzsche.
Dans cette pièce en trois actes, sous-titrée Fantaisie théâtrale, lauteur rend dune certaine façon hommage au poète Rainer Maria Rilke, mettant dans les caractéristiques du nain, personnage principal du texte, certains traits physiques et artistiques de lécrivain allemand. Lhistoire même, révélant lamour de le jeune fille pour le nain, se base essentiellement sur limpossible union qui a pesé sur les deux écrivains.
Lintrigue est simple ; nous sommes dans un conte étrange qui narre lintrusion dun nain en pleine nuit chez une famille, cherchant sûrement de quoi manger et où se loger mais qui, pour être accepté, se targue de posséder des pouvoirs magiques, notamment celui de rendre invisible, et de venir dun monde lointain. Chaque personnage se lie avec lui, sous un aspect différent, intéressé, amical, voir amoureux, en vue de profiter de ses fameux pouvoirs.
Lon voit que lécrivain a fréquenté Freud et ses démons de la psychanalyse, car la pièce, que lon peut lire comme un récit (les didascalies étant nombreuses) simprègne du merveilleux, de limagerie habituelle des contes : Nains malins, innocence de lenfance, sentiment détrangeté, morale finale, etc. Limaginaire du conte, lenvie de sortir du réel par le biais du talisman, le fantasme, linconscient révélés par léventuel pouvoir du nain apparaissent donc au grand jour. Ces thématiques chères à Freud et plus généralement à la littérature moderne, dressent le décor. La progression de la pièce joue sur les codes classiques de la dramaturgie : Acte I : prise de connaissance des personnages, interrogations multiples, Acte II : développement de la pièce, Acte III : conséquences, conclusion et morale de lhistoire.
Andréas-Salomé insiste sur létrangeté du nain, dont on ne sait véritablement sil est porteur de pouvoir comme il le dit. Mais son intrusion, son influence, sa forte personnalité (Cest une pièce sur laltérité ; en loccurrence ici, le nain est un étranger et son physique diffère de celui des autres : petite taille, grosses mains, laideur du visage.) vont modifier, en fait révéler, la personnalité cachée des uns et des autres : délire obsessionnel, pulsion suicidaire, fantasme refoulé, identité masquée, amour sincère. Bien évidemment, ce sont les enfants qui samourachent du nain, en tout cas qui accèdent plus facilement à son génie. Les adultes, êtres pervertis sil en est, sont vite exclus de lenchantement bien que linfluence du nain ait lieu tout de même sur eux. Mais ils accèdent à la réalité, aussi dure soit-elle. Tout comme les enfants à la fin de la pièce qui à leur tour révèlent leur secret les plus enfouis.
Une parabole sur lidentité, linconscient qui se révèle ; en cela la cape du nain qui agit sur chaque membre de la famille est la métonymie du pouvoir magique et le symbole du renversement qui sopère sur les personnages. La mère de famille se rappelle dun coup son enfance et le fait davoir été élevée comme un garçon. Comme le note fort justement Stéphane Michaud, biographe officiel de lécrivain, le nain a ici le rôle du passeur, du révélateur permettant la découverte de soi-même.
Nétant pas humain, mais révélant lhumanité de chacun des membres de la famille, le nain quitte la maison, en y laissant sa cape, symbole de son travail à présent accompli. Seuls les enfants nen sortiront pas indemnes, mais ils auront le privilège den être grandis comme en témoigne cette courte tirade du petit-fils : «Nous autres, nous avons le front de la réclamer [La cape]. Et moi, au moment où je voulais la mettre, jattendais, je voulais quelque chose delle, au lieu de mabandonner tout simplement à son pouvoir. Mais en retour, notre ouvrage à nous, humains, est plus clair, plus neuf, plus tonique» (p.114).
A lire comme une curiosité, une fantaisie théâtrale dont sest peut-être inspiré un certain Maurice Sachs pour son roman Abracadabra, quelques années plus tard.
Jean-Laurent Glémin ( Mis en ligne le 01/10/2007 ) Imprimer | | |