|
Littérature -> Poésie & théâtre |
| Florian Zeller Elle t'attend Flammarion 2008 / 12 € - 78.6 ffr. / 154 pages ISBN : 978-2-08-120749-3 FORMAT : 11,5cm x 18,5cm
Date de parution : 03/09/2008.
Auteur du compte rendu : Ancien élève de lÉcole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines de Lyon, agrégé de Lettres Modernes, Fabien Gris est actuellement moniteur à lUniversité de Saint Etienne. Il prépare une thèse, sous la direction de Jean-Bernard Vray, sur les modalités de présences du cinéma dans le roman français contemporain. Imprimer
Anna amène pour la première fois son nouveau compagnon, Simon, dans la maison de vacances familiale en Corse. Simon, qui a déjà été marié et a quitté sa femme et ses enfants pour vivre avec Anna, semble vivre assez mal ce moment, et notamment la cohabitation avec la famille dAnna : sa mère excessivement prévenante, son père touché par la maladie dAlzheimer, sa sur et son frère jaloux de cette nouvelle union. Un matin, Simon décide de faire une promenade seul dans les montagnes environnantes. Le temps passe et il ne revient pas. A-t-il eu un accident ? A-t-il fui ? Pour Anna, cette attente est insupportable.
Pour sa quatrième pièce, Florian Zeller a fait le choix classique du théâtre psychologique, par le double biais de la passion amoureuse et du drame familial. Il prend même un angle dattaque intéressant pour traiter son sujet, en plaçant au cur de la pièce labsence et linvisibilité dun des personnages principaux, à savoir Simon. Ce «vide» pourrait être effectivement un moyen dramaturgique efficace et pertinent pour questionner lintensité des sentiments de ceux qui «restent», qui attendent celui qui ne réapparaît pas sur la scène. Pour Anna, lattente est cette action paradoxale qui la conduit à extérioriser sa passion amoureuse pour Simon et à en peser la force et la faiblesse.
Le procédé de base est donc, a priori, plutôt astucieux, même sil nest pas novateur en soi (depuis Beckett au moins, on «attend» beaucoup au théâtre !). Mais cela va être sérieusement gâché par lécriture théâtrale du dramaturge. En effet, Florian Zeller semble écrire avec une sorte de double crainte : à la fois celle de ne pas être assez clair dans ses intentions, et celle de tomber dans une trop grande violence stylistique et dramaturgique. Cela place la pièce dans une neutralité qui laisse indifférent : trop démonstrative pour être vraiment énigmatique, trop sage et policée pour «explor[er] les gouffres du sentiment amoureux et le tumulte de lattente», comme le prétend la quatrième de couverture.
Zeller semble dailleurs avoir peur de son sujet principal (lattente), en faisant réapparaître plusieurs fois Simon sur scène, au cours danalepses et/ou de moments oniriques. Cela a pour but de souligner au gros feutre rouge les tenants et aboutissants de lintrigue, alors que le spectateur et le lecteur sont tout à fait capables de les comprendre sans ces artifices. Florian Zeller ne lâche dailleurs jamais ledit gros feutre rouge : chaque réplique devient explicitement lourde de sens (et «lourde» est un adjectif assez adapté), chaque personnage porte un secret ou un malaise comme lon porterait un étendard. Les didascalies sont symptomatiques de ce caractère démonstratif et ressemblent à de petites explications de texte : «Ils se regardent sans rien dire. Quelque chose se passe dans leur regard. Une tension. On comprend que quelque chose ne va pas» (p. 25) ; «On comprend la seule hypothèse envisageable : à travers eux, cest la mort qui est entrée dans la maison» (p.134).
Si lon était mauvais esprit, on dirait que Zeller utilise les didascalies comme des pense-bêtes pour sa future mise en scène (il monte personnellement la pièce en septembre 2008 au Théâtre de la Madeleine), craignant sans doute doublier ses propres intentions dauteur dans le passage du texte à la scène (intentions dauteur qui ne manquent pourtant pas dans la pièce elle-même, comme par exemple le frère dAnna qui lit LOdyssée dHomère et explique combien cette lecture est appropriée à la situation). On peut relever aussi quelques phrases peu heureuses, involontairement ridicules («Il faudrait que les moments dattente soient effroyablement longs et lents. Aussi écrasants que le soleil de Corse» (p.11) ; «Simon sort de la salle de bain dans une serviette blanche. Il porte sa serviette comme dans lantiquité [sans majuscule ndlr] : un tragédien grec» (p.137). Les répliques relèvent malheureusement dun style plat et convenu, et ne provoquent quun ennui poli.
Elle tattend se déroule en Corse. Florian Zeller justifie la situation géographique de sa pièce en convoquant la Méditerranée dAlbert Camus et sa notion de «tragique solaire». Un mauvais esprit, toujours, dirait que la présence de Laetitia Casta, originaire de Corse elle-même, pour interpréter Anna, nest quun heureux hasard entre les intentions littéraires et dramaturgiques profondes de lauteur et le choix de la distribution par le metteur en scène.
Fabien Gris ( Mis en ligne le 22/09/2008 ) Imprimer
A lire également sur parutions.com:Les Amants du n’importe quoi de Florian Zeller Julien Parme de Florian Zeller Neiges artificielles de Florian Zeller | | |
|
|
|
|