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Pas d’espoir pour les marginaux ?
Russell Banks   Lointain souvenir de la peau
Actes Sud - Lettres anglo-américaines 2012 /  24,20 € - 158.51 ffr. / 443 pages
ISBN : 978-2-330-00520-7
FORMAT : 14,5cm x 24cm

Pierre Furlan (Traducteur)
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Un livre épais, difficile, dérangeant, pas toujours très bien écrit, ou du moins avec des lourdeurs, des traits caricaturaux, sur un sujet d’actualité. Russell Banks, 72 ans, voix forte dans la littérature américaine contemporaine, très engagé politiquement, qui interroge inlassablement la société américaine (et donc occidentale) depuis Vie de Famille (édition française 1975), s’en prend cette fois aux questions étroitement imbriquées d’Internet et du regard sur la délinquance sexuelle, et au-delà sur les marginaux. Un texte fort d’un des grands écrivains américains de sa génération, dont l’œuvre romanesque est publiée en France chez Actes Sud. On se souvient entre autres de De beaux lendemains, de American Darling

Pour trouver le sujet de Lointain souvenir de la peau, il a regardé autour de lui : il vit en Floride six mois par an, à Miami, mais ce n’est pas le Miami des retraités qu’il choisit, ni celui des clichés habituels même si une référence à Hemingway survient en fin de roman ; c’est un lieu improbable et qui existe pourtant, proche de récits d’anticipation désespérés : la baie de Calusa ou plus exactement le viaduc situé sous cette baie, seul refuge possible pour ceux qui ont été condamnés pour des crimes sexuels et qui vivent en «liberté» surveillée dans des conditions drastiques ; porter un bracelet électronique à la cheville, s’assurer qu’il est toujours en fonctionnement, batterie chargée, ne pas résider à moins de 800 mètres de lieux où vivent ou jouent des enfants, aires de jeu, écoles, etc. Autrement dit, dans tout l’Etat de Floride, il ne leur reste que de faibles possibilités : l’emplacement sur le viaduc ou le grand marais de Panzacola, ou encore un vieux camp de pêcheurs dont les habitants se tiennent sur une étroite ligne entre légalité et illégalité ; ou encore fuir la loi, rompre le bracelet et tenter de refaire leur vie dans un autre état.

A aucun moment Russell Banks ne juge, il raconte l’histoire de Kid, adolescent gringalet nourri davantage qu’élevé par une mère célibataire dont la seule distraction est sa collection d’hommes qu’elle réussit à ramener sous son toit pour un temps plus ou moins long. Certes, elle loge son fils, et même l’iguane de celui-ci , qui – lui - a un prénom, Iggy, mais son attention ne va guère au-delà. Mal aimé, à la maison comme à l’école, le Kid se réfugie dans le porno sur internet qu’il consomme nuit et jour et qui est son seul lien avec la réalité. Après une expérience calamiteuse à l’armée, qui se solde par son renvoi et donc pour lui l’échec - l’impossibilité de partir faire la guerre en Afghanistan -, le Kid réintègre le domicile maternel, sans parvenir pour autant à trouver un boulot stable : trop de choses parlent contre lui, l'absence d’études, son renvoi de l’armée… Classé comme asocial, il se réfugie, sans le faire vraiment exprès, dans les ''chats'' sur internet et se fait piéger par une adolescente. Son histoire foireuse le conduit droit en prison pour pédophilie alors qu’il est vierge et pensait sincèrement échanger avec une adulte consentante…

Russell Banks fait ici le procès d’une société hypocrite gagnée par le puritanisme alors que dans le même temps internet ouvre à tous les excès. D’une société qui s’abîme dans le virtuel à tous les étages : virtuel de la prison, virtuel du net et de la toile qui emprisonne ses ''addicts'', virtuel des corps obèses qui emprisonnent l’âme et l’intelligence… Quelques individus échappent au filet : Gloria, l’épouse du Professeur, bibliothécaire, Dolorès qui gère avec Cat le marais, Rabbit le vieil infirme marginal du Viaduc…

Cette histoire, ni le Kid ni l’auteur ne la livrent immédiatement, le lecteur la découvre peu à peu au fil des descriptions de la vie du Kid et des autres «résidents» du viaduc, vaste égout à l’air libre. La naïveté du Kid se renforce de la rencontre avec le Professeur, personnage étrange, excessif lui aussi dans un autre genre : excessivement intelligent, universitaire, sociologue, mais surtout excessivement gros ; et, bien davantage que les passages sur la pornographie, les quelques pages dans lesquelles Russell Banks décrit précisément l’addiction alimentaire du Professeur lèvent le cœur.

Le Professeur veut faire une enquête sur les délinquants sexuels sans abris et prend le Kid comme sujet d’observation. Celui-ci n’est pas dupe du rôle de cobaye que lui fait jouer celui qu’il surnomme Alamasse, mais il accepte de se laisser entraîner dans ce nouvel épisode. Il y a du roman d’apprentissage dans Lointain souvenir de la peau, et l’apprentissage est partagé. Le Kid, sous la direction du Professeur, apprend la responsabilité qui dans un premier temps s’étend à deux animaux handicapés : Annie, une vieille chienne, et Einstein, un perroquet incapable de voler car on lui a brisé les ailes. Entre les deux hommes se noue une relation forte au cours des entretiens et si le Professeur ne révèle rien de lui, l’auteur distille sa vie par fragments : à sa façon lui aussi, le Professeur est un marginal, qui en dépit des apparences n’a aucune maîtrise de sa vie.

Si la relation forte qui se noue entre les deux héros leur rend leur dignité humaine, il est cependant difficile, voire impossible d’échapper à son passé et Russell Banks conduit ses personnages au bout d’eux-mêmes, au plus profond, dans une histoire qui se termine de façon lyrique et hallucinée dans les marais de Panzacola, image d’une sorte de Paradis terrestre peut-être retrouvé mais sans aucun doute hanté par le serpent… La Bible – mal digérée – accompagne le Kid tout au long de son parcours.

En refermant le livre, on ne sait plus très bien si Russell Banks est optimiste ou profondément pessimiste, si le Kid a devant lui un avenir assumé... Si l’on vient de se laisser emporter par une histoire de rédemption pour un rêve américain pas mal chahuté au début du XXIe siècle ou si Russell Banks dresse le constat implacable de l’impossibilité de maintenir ce rêve dans une société d’abondance incapable d’assurer aux marginaux une vie digne, incapable aussi de surmonter ses peurs, d’affronter ses angoisses et cauchemars.

Un roman intrigant qui envoûte ou… que l’on déteste…


Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 04/04/2012 )
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