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Entretien avec David Bezmozgis
Entretien avec David Bezmozgis - (Le Monde libre, Belfond, Septembre 2012)


- David Bezmozgis, Le Monde libre, Belfond, Septembre 2012, 704 p., 22 €, ISBN : 978-2-7144-5033-3 / 10/18, Août 2014, 432 p., 8,80 €, ISBN : 978-2-264-06005-1
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Invité du Festival America de Vincennes fin septembre 2012 avec Le Monde libre, David Bezmozgis revient ici sur ce premier roman très remarqué et les raisons pour lesquelles il écrit.

Parutions.com : Dans Le Monde libre, vous reprenez le sujet principal de votre recueil de nouvelles, Natasha et autres histoires (éditions 10/18, 2012), à savoir l'expérience de Juifs soviétiques qui quittent la Lettonie pour émigrer au Canada. Pouvez-vous expliquer la manière dont les deux livres se complètent ?

David Bezmozgis : Natasha parlait de l'expérience de Juifs soviétiques immigrés en Amérique du Nord dans les années 1980 et 1990. Des centaines de milliers d'entre eux s'y sont installés à l'époque et j'ai écrit le livre parce que je n'avais vu personne traiter ce sujet. L'Amérique du Nord possède de nombreux écrivains issus de l'immigration et plus particulièrement de l'immigration juive. Une tradition que cette dernière vague d'immigration est venue prolonger. Il se trouve que c'est aussi l'histoire de ma famille et la mienne.

J'avais en effet dans l'idée que Le Monde libre vienne compléter Natasha. On sait tellement peu de choses en Occident sur ce qu'a été l'Union Soviétique et sur ce que les Juifs soviétiques ont vécu. Que cela soit au Canada ou aux États-Unis, et peut-être également en France, la façon dont les gens se représentaient l'immigration juive de Russie datait d'au moins un quart de siècle. Des images en rapport avec l'Holocauste, voire avec Un Violon sur le toit. Le Monde libre actualise cette représentation. Si ces immigrés russes et de l'ex-URSS qui habitent maintenant tant de villes occidentales semblent étranges ou difficiles à comprendre, le roman est là pour aider à expliquer pourquoi ils sont ainsi et ce qui a façonné leur communauté. Et bien sûr derrière mes deux livres, il y a la conviction que la vie de ces personnes est suffisamment intéressante et dramatique pour justifier qu'elle puisse être lue.

Parutions.com : Vous avez quitté la Lettonie pour Toronto avec vos parents à l'âge de six ans. Bien qu'elle ne soit pas autobiographique, votre fiction s'enracine donc dans votre propre expérience. Comment envisagez-vous votre rôle d'écrivain ? S'agit-il pour vous de recréer et donc de sauver un monde disparu de l'oubli ? Peut-on parler de mission ?

David Bezmozgis : Oui, j'ai eu le sentiment d'une mission à remplir. Un sentiment très fort dans le cas de Natasha parce que je pensais que rien n'avait été écrit sur cette communauté spécifique. Mais je crois que c'est vrai pour les deux livres. Il s'agit de laisser une trace d'un monde disparu. Ou plus exactement de mondes disparus. Le monde soviétique bien sûr mais aussi celui qui l'a précédé. La dernière lueur du monde yiddish des Juifs de l'Europe de l'Est tel qu'il existait en Union Soviétique. En tant que membre de la dernière génération en contact physique avec ce monde par l'entremise de mes parents et de mes grands-parents, je pensais qu'il s'agissait de quelque chose que les générations futures ne pourraient pas réaliser. Rien ne peut remplacer le fait de connaître personnellement et intimement les gens sur qui vous écrivez.

Parutions.com : Pour en revenir à votre roman, vous vous y concentrez sur une période de transition cruciale dans l'histoire de la famille Krasnansky. Êtes-vous d'accord avec l'idée que cette période agit sur vos personnages comme un révélateur ?

David Bezmozgis : Oui, je pense que c'est exact. Je suis convaincu que les situations stressantes révèlent qui nous sommes. Par ailleurs, pour certains personnages, il ne s'agit pas seulement du stress et du désarroi dus à l'émigration mais aussi d'une sorte de sentiment de libération du joug soviétique. Malgré la situation perturbante de réfugié, il y a cette exaltation d'avoir franchi le Rideau de fer. Ce double sentiment est très intéressant à exploiter.

Parutions.com : Beaucoup de personnages peuplent le roman et la famille Krasnansky se compose de trois générations. Il y a donc beaucoup de points de vue différents sur ce qu'était la vie en Union Soviétique, sur ce que l'émigration représente et sur le choix de l'endroit où s'installer. Trois voix se font écho, celle de Samuil, le patriarche, celle d'Alec, l'un de ses deux fils, et celle de Polina enfin, l'épouse d'Alec. Aviez-vous cela en tête dès le départ ou avez-vous réfléchi à la possibilité d'une construction différente ?

David Bezmozgis : C'était bien mon idée de départ. Je voulais offrir une représentation aussi complète que possible de ce que les Juifs ont vécu en Union Soviétique mais également de sortir des stéréotypes occidentaux sur la vie en Union Soviétique. Ces trois personnages extrêmement différents me le permettaient. Chacun possède un ton particulier. Celui de Samuil, ancien général de l'Armée rouge, viscéralement attaché au communisme, est grave. Celui de son plus jeune fils Alec, coureur de jupons hédoniste, est nettement plus léger. Pour Polina qui n'est pas juive, c'est encore autre chose. Et puis, il y a tous les autres membres de la famille et les personnages secondaires. J'espère donc que cela fait émerger un tableau exhaustif ou du moins aussi exhaustif que possible.

Parutions.com : Vous utilisez beaucoup l'analepse. Était-ce la meilleure façon de lier le fond et la forme ?

David Bezmozgis : Tous ces gens vivent un moment de transition, ils se trouvent entre deux mondes et le passé exerce donc sur eux une forte influence. Vu qu'ils n'ont pas encore atteint leur destination finale – le Canada, l'Australie ou les États-Unis –, ils ne peuvent pas se projeter correctement dans l'avenir. C'est un peu comme s'ils se sentaient dans trois dimensions en même temps, le passé, le présent et l'avenir. Le défi pour moi consistait à prendre en compte ces trois dimensions pour mieux faire comprendre qui sont ces gens et la manière dont ils se comportent. Un roman autorise ce va et vient dans la chronologie et permet de montrer le rôle que la mémoire et les souvenirs jouent dans notre vie.

Parutions.com : Samuil est un personnage très émouvant, qui refuse d'abandonner ses convictions politiques, ce qui représenterait pour lui une apostasie. Représentait-il pour vous une façon de «remettre les pendules à l'heure» et de corriger une vision déformée que les Occidentaux pourraient avoir des communistes purs et durs ?

David Bezmozgis : J'ai beaucoup d'affection pour Samuil et pour les gens de sa génération. Par la force des choses, ils ont vécu les événements les plus durs du siècle dernier, peut-être d'ailleurs les plus durs de l'histoire. Samuil, comme d'autres, a placé sa foi dans le communisme. Je pense qu'après l'effondrement de l'URSS et du bloc de l'Est, l'idée qu'un grand nombre de personnes puisse avoir adhéré à cette idéologie semble étrange pour ma génération ou la suivante. Pourtant il n'y a pas si longtemps, quelqu'un comme Samuil ne démarquait en rien de la société, il faisait partie de l'avant-garde. Bien sûr, ils se sont rendus responsables de beaucoup de souffrances mais une certaine logique les guidait. Donc, oui, en effet, Samuil me permettait de «remettre les pendules à l'heure». À travers lui, je souhaitais contredire un certain nombre de mythes - lettons, juifs, russes et sionistes entre autres.

Parutions.com : Le seul ami de Samuil à Rome est Josef Roidman, un violoniste unijambiste. Correspond-il à votre définition de l'humour juif ?

David Bezmozgis : Il représente un contre-point ironique au personnage de Samuil. Tout en ayant vécu également des expériences difficiles, il ne réagit pas de la même manière. Face au malheur, il préfère afficher un haussement d'épaules et s'inscrit, en effet, dans la longue tradition de l'humour juif.

Parutions.com : Pour les Juifs soviétiques, la solution la plus simple était Israël. Dans le roman, seule Rose reste une vraie sioniste. Pour quelles raisons les autres personnages rejettent-ils l'idée de s'y installer ou bien refusent-ils d'y retourner comme c'est le cas pour Lyova ?

David Bezmozgis : Pour des raisons politiques, l'endroit le plus facile pour émigrer était en effet Israël. Les premiers Juifs à quitter l'Union Soviétique firent ce choix. Mais ensuite, alors que la plupart des sionistes convaincus avait quitté l'URSS, d'autres Juifs moins marqués idéologiquement ont voulu partir aussi plus par espoir de liberté que par conviction sioniste. La société soviétique était antisémite et la possibilité d'échapper aux restrictions que le régime imposait aux Juifs semblait attirante. Ces derniers souhaitaient repartir de zéro aux États-Unis, au Canada ou dans tout autre endroit qui leur permettrait un avenir meilleur. C'est la même chose pour l'immigration de nos jours. Les gens choisissent les pays occidentaux pour la liberté de mouvement, de religion, d'expression et pour les possibilités de progression dans l'échelle sociale. Dans l'esprit des Juifs, il y avait aussi l'idée que si les choses ne fonctionnaient pas au Canada ou aux États-Unis, il restait toujours la solution d'aller en Israël. Pour des raisons politiques, cela ne marchait pas dans le sens inverse. Une fois installé en Israël, il était beaucoup plus difficile pour un Juif d'émigrer vers un autre pays. C'est le cas de Lyova. Je montre aussi dans le roman pourquoi certains Juifs refusaient le choix d'Israël, cela s'explique principalement par la peur de la guerre et du terrorisme. Après avoir terriblement souffert sur plusieurs générations de guerres et de persécutions, beaucoup souhaitaient seulement connaître une certaine paix pour eux et leurs enfants.

Parutions.com : Le Monde libre évoque de nombreux faits historiques mais fourmille également d'anecdotes réalistes. Quelles recherches avez-vous effectuées ?

David Bezmozgis : J'ai beaucoup lu sur l'Union Soviétique et son histoire mais aussi sur l'Italie du vingtième siècle. J'ai passé quatre mois à Rome pour apprendre à connaître la capitale italienne et les villes avoisinantes qui servent de décor au roman. Et bien sûr, j'ai interviewé des gens qui ont vécu cette expérience à Rome, des membres de ma famille et des amis de Toronto.

Parutions.com : Émigrer implique également d'apprendre de nouvelles langues. Quel rôle joue l'espéranto dans le roman ? Le parlez-vous ?

David Bezmozgis : Lorsque je faisais mes recherches historiques, je suis tombé sur de multiples références à l'espéranto que la jeunesse révolutionnaire apprenait dans les années trente. Cela me semblait naturel de l'inclure dans le roman et qu'il y joue finalement un rôle important. J'ai commencé à l'apprendre et même si j'ai arrêté, cette langue m'intéresse toujours car elle est totalement à la marge. La communauté qui parle l’espéranto est toute petite et pourtant cette communauté existe. J'aime l'idée de consacrer du temps à quelque chose d'un peu irréaliste.

Parutions.com : Quels souvenirs d'enfant gardez-vous de la Lettonie ? Quel a été votre sentiment quand vous y êtes retourné en voyage ?

David Bezmozgis : Je n'avais que six ans lorsque je suis parti, je n'ai donc que peu de souvenirs et aucun ne me semble vraiment marquant. J'y suis retourné une fois en 2003. Toute ma famille a émigré ainsi que presque tous les amis de mes parents. Ce retour «à la maison» a donc constitué une expérience étrange. Non pas déplaisante mais bizarre et empreinte de mélancolie. Je me sentais lié à cet endroit mais le lien était ténu et appartenait au passé. Cela dit, il existe et j'essaie de me tenir au courant de ce qui se passe là-bas. C'est l'endroit où je suis né et cela signifie quelque chose pour moi.

Parutions.com : Comment vos parents ont-ils réagi quand vous leur avez annoncé votre volonté de devenir écrivain ?

David Bezmozgis : Mes parents souhaitaient me voir obtenir un emploi stable. Ma mère continue à dire que j'aurais pu être avocat et écrire à côté !

Parutions.com : Vous avez également écrit et réalisé un film Victoria Day. Envisagez-vous d'adapter Le Monde libre au cinéma ?

David Bezmozgis : Bien que je pense que l'on puisse en faire un film, rien ne me presse. J'ai passé sept ans à écrire ce roman, je suis content de faire autre chose maintenant. Je serais tout à fait content de laisser quelqu'un d'autre réaliser un tel projet !

Parutions.com : Êtes-vous un lecteur éclectique ?

David Bezmozgis : En fait, j'aime relire les mêmes auteurs et les mêmes livres, Leonard Michaels (dont le roman Sylvia est traduit en français), J.M. Coetzee, Dennis Johnson, Isaac Babel. Je lis aussi beaucoup dans le domaine de la non-fiction lorsque j'effectue des recherches. Par contre, je ne lis pas de policiers ou de livres qui parlent de vampires ou de zombies. Donc non, je ne me considère pas comme très éclectique.

Parutions.com : Quels sont vos projets en cours ?

David Bezmozgis : Je suis en train d'écrire un autre roman et j'ai également adapté ma nouvelle Natasha pour en faire un long-métrage que j'espère réaliser l'été prochain.

Parutions.com : Un grand merci à vous.


Entretien réalisé par email et traduit par Florence Bee-Cottin
( Mis en ligne le 26/10/2012 )
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