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Attente, absence, résilence
Entretien avec Claudie Gallay - (Une part de ciel, Actes Sud, Août 2013 ; Babel, Octobre 2014)


Claudie Gallay, Une part du ciel, Actes Sud, Août 2013, 445 p., 22 €, ISBN : 978-2-330-02264-8

Poche : Babel, Octobre 2014, 569 p., 9.90 €, ISBN : 978-2-330-03724-6

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Parutions.com : Pouvez-vous tout d'abord nous parler du choix du titre ? Pourquoi Une part de ciel ?

Claudie Gallay : La part de ciel, c’est la part de rêve, d’absolu, une quête d’idéal, cette lueur sise en chacun de nous, qui nous permet de vivre et d’aimer, d’avoir envie d’avenir, c’est essentiel. Le récit s'inscrit dans une sorte de bout du monde, un lieu où les gens n’ont pas toujours la vie facile. Chacun des personnages, même les secondaires, détient cette part de lumière.

Parutions.com : Parlez-nous de Curtil. Qui est-il ?

Claudie Gallay : Curtil, c’est l’absent, c’est celui qui manque et que l’on attend, un personnage un peu loufoque, il s’en va sans dire où, doit revenir mais sans dire quand, finalement est-ce si important ?... Mais alors que l'histoire avance, l’attente se révèle être un prétexte car tout ce qui compte, finalement, s'inscrit dans cet intervalle immobile.

Parutions.com : La longue attente pour Curtil fait penser à En attendant Godot : comme Godot, Curtil n’arrive jamais, même s’il est la raison pour laquelle Carole se trouve à Val. De plus, le roman reprend la répétition subtile des actions et des jours, comme dans Godot. Y a-t-il un lien ?

Claudie Gallay : S’il y en a un, c’est bien ! L’axe du roman, c’est l’attente du père, de l’homme, c’est l’attente aussi de la vérité et de l’apaisement. Tout tourne autour de ces sentiments qui façonnent le manque. Mes échanges avec les lecteurs, lorsque j'accompagne le livre en librairie, me le confirment. On a tous un Godot, un Curtil en nous, et l'on espère. Nous sommes guidés par cette soif. Pas ces envies de rêves ! Cela évoque Achille qui fait sa course avec sa tortue et il n’arrive jamais à la rattraper parce qu'à chaque fois qu'il atteint le point d'où elle est partie, celle-ci a déjà progressé un peu plus. J’ai l’impression que le roman est bâti comme cela : on attend le père et puis on se lasse, et l’attente dure encore mais, dans l'intervalle, Carole retrouve son flirt d’adolescence, le vieux Sam révèle sa vie, les liens se tissent…

Parutions.com : Dans ce roman, la présence de l’absence est également frappante – l’absence du père, celle de la mère… Elle est même exprimée par l'absence de certaines photos dans la série sur la serveuse au balcon. Ce roman est-il aussi une exploration de l’absence ?

Claudie Gallay : De l’absence, mais pas seulement. Au-delà, il y a la force des rencontres, c’est un roman sur l’entraide, sur la solidarité des endroits désenchantés. Je me suis intéressée aux liens distendus entre les membres d’une fratrie. Ce mot me plaît, fratrie, il est charnel, il parle du lien, du ventre maternel. C’est par l'absence du père, par l’éloignement des conjoints, que l'histoire se noue. Ces trois enfants devenus adultes se retrouvent. Le mari de Carole l’a quittée. Le compagnon de Gaby est en prison, pour pas grand-chose mais il n’est pas là. Et la femme de Philippe est partie soigner sa mère à Dijon. Je ne suis pas sûre que les personnages auraient pu se retrouver si les conjoints avaient été présents. Leurs relations se tissent comme dans un jeu d’échecs qui, incessamment, se recompose, rapprochant certaines pièces par les espaces créés, des pièces qui ne se seraient peut-être jamais côtoyées sans ces voies libres...

Parutions.com : Les personnages se retrouvent-ils dans cette solitude commune ?

Claudie Gallay : Ils se retrouvent parce que c’est un moment de leurs vies où ils sont en pause. Le récit se passe au début de l’hiver, ils parient tous sur l’arrivée de la neige, c’est un décor fantastique qui les attend, ce changement dans le paysage qui va modifier la géographie, les situations et influer sur les sentiments. Le froid et l'hiver les sédentarisent dans la maison. C’est essentiel, surtout pour le personnage de Carole.

Parutions.com : Carole écrit qu’elle «ne s’est jamais sentie aussi seule» que quand sa mère vivante ne la reconnaissait plus. Sam dit que «la plus grande des solitudes, c’est quand personne ne partage vos souvenirs». Carole est accusée d’être toujours toute seule. Le village lui-même s’appelle Val-de-Seuls... Que pouvez-vous dire encore au sujet de la solitude ?

Claudie Gallay : La solitude, quand elle est choisie, est la plus belle des choses. Mais quand elle est subie, ce sentiment est effroyablement douloureux. A un moment donné, Carole se retrouve sans son homme, ses filles sont parties faire des études à l’étranger. On a là un beau portrait de femme qui se donne le temps de se poser, qui ne s'apitoie pas. Elle prend ce temps-là. Il en va de même pour Gaby, la sœur. Il y a ce moment magnifique où elle part retourner la neige, en désespoir de causes, parce que c’est son mec qu’elle cherche. Tout ce qu’on fait par amour… C’est un sentiment très particulier, intense, qui nous met à nu. J’ai voulu montrer sans tricher les retrouvailles de cette fratrie. C’est la raison pour laquelle le roman est épais, l'histoire avait besoin de pudeur. Ils se donnent le temps de la confiance. Surtout Carole, elle se sent coupable de tout, c’est son problème la culpabilité. Heureusement, elle va se dépolluer en affrontant ses fantômes.

Parutions.com : Le roman commence par une description puissante – presque animale – de l’appartenance à un lieu («Je suis née ici, d’un ventre et de ce lieu. Une naissance par le siège et sans pousser un cri. Ma mère a enterré mon cordon de vie dans la forêt. Elle m’a condamnée à ça, imiter ce que je sais faire, revenir toujours au même lieu et le fuir dès que je le retrouve»). Que signifie pour Carole cette idée de l’appartenance ? Et pour vous ?

Claudie Gallay : Il s'agit de l'appartenance fondamentale à la terre de naissance. Carole est née là, elle est de ce lieu même si elle en est partie. Mais elle revient, on ne peut pas vivre coupé de sa terre, elle y a ses souvenirs d’enfance, sa maison, son jardin, la souvenance des gâteaux que préparaient sa mère pour les retours de Curtil. Il y a tout cela dans sa mémoire. La terre où l'on vient au monde, où l'on a grandi et découvert la vie, où l'on s’est émerveillé. Ces terres de naissance sont très fortes. Mais on n’est pas des arbres, on s’en va, on s’enracine ailleurs, sur des terres qui deviennent des lieux d’attachement. Je suis fille de paysans, mes parents étaient des terriens, une enfance magnifique qui me colle naturellement aux arbres, aux terriers, aux bêtes. Carole a cru pouvoir nier l’endroit d’où elle vient, elle a voulu ne plus y revenir, ne pas s’y attacher, à cause des mauvais souvenirs, des choses dont elle ne veut pas – ou ne peut pas - parler. Elle se rendra finalement compte qu'elle peut vivre en paix avec cet endroit. Tout au long du livre, elle se réapprivoise.

Parutions.com : Qu’a appris Carole à la fin du roman ?

Claudie Gallay : L’apaisement. Elle a appris à se pardonner. C’est le plus difficile, quand on est en colère contre soi. Elle a perdu quelques illusions peut-être, avec son beau Jean, mais au final, elle a repris sa vie en mains. Pendant toute la première partie du livre, elle espère que son mari va revenir et puis, début janvier, quelque chose se passe et quand il téléphone, c’est elle qui prend la décision de dire qu’ils doivent vendre l’appartement. Elle se surprend et elle surprend les autres. Dans sa vie de femme, c'est un beau moment, celui où elle devient décideuse de son existence. Et puis, elle accepte sa sensibilité, elle réapprend à pleurer, mais pas toute seule, on ne fait rien tout seul. C’est sa sœur qui lui apprend. J’aime énormément Gaby. Elle est rude, elle vit d’une façon très précaire, mais il y a une beauté animale en elle. Elle sent les choses d’une manière intuitive. Ce n'est pas quelqu’un qu’on remarque. Carole va retrouver son chemin, elle a appris où sont les vrais sentiments. Je ne pense pas qu’elle reviendra vivre au Val-de-Seuls mais elle est plus forte.

Parutions.com : Carole travaille sur la vie, les œuvres et les idées de l'artiste Christo ; quel est le rapport entre Christo et Carole ? Qu’est-ce que cela apporte au roman ?

Claudie Gallay : Christo est un artiste du land art, il recouvre des monuments avec des tissus. Il a recouvert le Reichstag, le Pont Neuf à Paris, un pont où les gens passent sans le voir parce qu'il est là, depuis et pour toujours… C’est une dissimulation qui n’efface pas, comme le silence sur les secrets. Christo fait cela pour montrer, donner à voir, autrement. En ce moment, il est en train de recouvrir une rivière dans l’Arkansas, une rivière que personne ne connaissait à part les pêcheurs du coin. Carole, ce n’est pas une intellectuelle, elle est professeur de cuisine. Mais, petit à petit, en traduisant la biographie de cet artiste, elle se rapproche de lui, de sa pensée. Il y a un nœud noir dans son enfance et c’est ce qui a empêtré toute la fratrie, des choses dont ils n’ont pas parlé, il faut que ça se dévoile. Les silences cachent, ils n’effacent pas. Carole est dans le même état d'esprit. Une partie de son enfance est recouverte d'un voile, une part dissimulée. Mais qui existe cependant.

Parutions.com : Le roman se fonde sur la création d’un monde entier, qui existe – pour le lecteur – dès le moment où Carole descend du train jusqu'à ce qu’elle parte, et qui est contenu de belle manière entre les couvertures du livre, un peu comme dans une boule à neige. Comment avez-vous eu l'idée du roman ?

Claudie Gallay : Avec Une part de ciel, j’avais cette idée de fratrie, et j'avais la dernière scène, la confidence de Gaby à la fin, quand elle se retrouve au bord du lac. Il me fallait donc conduire le lecteur jusqu'à cette scène. L’idée première, c’était la fratrie. Mon premier roman publié se passe également dans une région de montagnes. Avec celui-ci, j'ai voulu fermer un cycle, aller au bout de ce que j’écris depuis dix ans, creuser la relation frère et sœur, la mémoire... On partage la même enfance, les mêmes parents, la même maison, et puis il arrive que la relation s’effiloche, on n’est plus d’accord sur rien, les liens se distendent, tout devient plus compliqué. J’avais envie d'explorer tout cela en profondeur.

Le Val-de-Seuls est un lieu de fiction près de Modane, au bout de la Vallée de la Maurienne. Il me fallait une géographie rude pour installer cette intimité. J’aurais eu du mal à raconter la même histoire en ville ; il me fallait un endroit isolé. Le personnage qui s’est imposé en premier a été celui de Gaby, une femme en prise aux difficultés, qui élève une fille qui n’est pas à elle, un formidable amour maternel ; elle est très belle au-dedans, très douloureuse aussi mais elle ne veut pas se laisser avoir par la tristesse. J’avais cette idée là au départ : deux sœurs différentes.

Parutions.com : Quel est votre moment préféré dans le roman ?

Claudie Gallay : Quand Gaby pose ses doigts sur les paupières de sa sœur pour lui réapprendre à pleurer… C'est infiniment tendre et humain. Et quand Jean l’attend dans la voiture, dehors, sur le parking, il veut qu’elle sorte, qu’il parte ensemble, il fait des demis tours, elle ne le rejoint pas, on a envie qu’elle le fasse, elle ne le fait pas... J’aime bien aussi quand le petit Marius dessine dans la neige ; c’est un poète ce gosse…

Parutions.com : «L’essentiel pour moi, dit Christo, est que quand le moment est venu de la réalisation, quand l’œuvre est enfin devenue réelle et bien présente, il y ait aussi son absence. Qu’on sente l’absence au sein de sa présence. Parce que, quand l’œuvre est réalisée, ça ne nous appartient plus». Comme auteur, diriez-vous le même chose ?

Claudie Gallay : Ce que je remarque, c’est que quand un livre est achevé, il ne m’appartient plus. Et c’est une bonne chose car je suis dépossédée et disponible pour en écrire un autre. Christo dit que ce qui est important, ce n’est pas le résultat final mais le chemin parcouru pour l'atteindre, tout le travail accompli pour parvenir à ce résultat. C’est exactement ce que je ressens. Quand je termine un livre, je suis apaisée, mais ce qui m'intéresse ce n’est pas le roman fini, c’est le parcours accompli pour en arriver là. Toutes les hésitations, les pages jetées, les doutes… L'importance du chemin est une notion chez Christo que je partage totalement.

Parutions.com : Pouvez-vous justement décrire votre processus d'écriture ?

Claudie Gallay : Je tâtonne, je jette, j’écris trop, je me perds… Je jette encore, je recommence, ça s’éclaire, je brouillonne, je relis, ça s’éclaire encore… Au départ, j’ai une idée vague. Je me lève tôt. Je travaille tous les jours, le matin essentiellement. Je ne vois personne, je ne parle à personne. Je sens ce que je dois raconter et je cherche la manière. Après, quand ça s’éclaire vraiment, je reviens dans la vie. Pour ce dernier roman, il m’a fallu donner leur place aux détails pour baliser le parcours de Carole dans la réappropriation de son passé, développer ce processus de résilience. Le plus compliqué a été de déterminer comment j’allais raconter cette histoire. J’ai décidé de le faire avec un vocabulaire simple pour dire des choses très humaines, essentielles, avec des détails, en me collant aux vies des personnages, pour que le lecteur soit pris à l’intérieur, qu'il emprunte le même chemin.

Parutions.com : Quels sont vos influences littéraires et artistiques ?

Claudie Gallay : Marguerite Duras. Je la lis depuis très longtemps, je continue à la lire, c’est une voix, une langue. Céline, le Voyage au bout de la nuit que j’ai relu souvent ; il a inventé une manière de parler, des dialogues formidables... Marie-Hélène Lafon, pour son écriture forte, bestiale. J’aime les auteurs qui apportent du soin au choix de leurs mots, ceux qu'on reconnaît d'emblée, qui ont leur pâte. Yoko Ogawa. Richard Millet dans ses premiers romans, c’est puissant. Albert Cossery est un écrivain de quelques livres, ça a été un enchantement quand je l’ai découvert, chaque phrase est pesée, choisie, pas un mot de trop. J’ai lu dernièrement le livre, La Lettre à Helga, de l'Islandais Bergsveinn Birgisson, aux Éditions Zulma. C’est un texte court, l'histoire d'un vieil éleveur de moutons qui écrit une lettre à une femme qu’il a aimée il y a très longtemps. J’aurais aimé écrire ce texte.

Parutions.com : Pouvez-vous nous parler de vos projets ?

Claudie Gallay : Je publie début avril un récit qui évoque la vie et l’œuvre du peintre Roman Opalka, le sculpteur du temps, un artiste dont la vie a été consacrée à représenter le temps qui passe par l’écriture de la suite des nombres. J’ai suivi pas à pas sa vie, dans son quotidien, jusqu’à son manoir en Aquitaine que j’ai eu la chance de visiter. C’est un artiste que j’admire, il a contribué à mon imaginaire, s’est glissé dans mes romans, j’ai voulu montrer par cette rencontre tout ce qui forme et façonne un écrivain, et j’ai mis à jour cette complicité tacite en révélant les passerelles tendues entre son œuvre et la mienne.

Parutions.com : Merci beaucoup.


Propos recueillis par Mari Berg Henie, le 14 novembre 2013
( Mis en ligne le 11/12/2013 )
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