| Sinha Shumona Assommons les pauvres ! L'Olivier 2012 / 5,70 € - 37.34 ffr. / 148 pages ISBN : 978-2-7578-2998-1 FORMAT : 10,8 cm × 17,7 cm
Première publication en août 2011 (L'Olivier) Imprimer
Que celui qui na jamais connu un accès de violence envers un mendiant un peu insistant jette la première bouteille
Cest ce que fait la jeune femme de cette histoire, infusée de la violence qui lentoure, une violence faite de métal et de verre, de bâtiments trop grands, de trop de monde et dadministration, trop de souffrance et de mensonges
Traductrice auprès des demandeurs dasile, elle vient briser sur la tête dun immigré, comme elle, dun pauvre, comme elle, une bouteille de vin. Elle allait vers cette femme fantasmée, partager cet alcool qui coule désormais de la plaie dun malheureux. Elle finit au commissariat et, dans une réflexion narrative sombre et liquide, nous conduit au bout de cette nuit de détention, face à Monsieur K., jusquà laveu de cet acte réflexe, soudain, et que tous sauf elle, sans doute, oublieront une fois rentrés.
Lhéroïne a certes la fâcheuse tendance à céder aux introspections psychanalytiques qui alourdissent parfois le récit. Mais la constante poésie du langage, ces métaphores convoquant des couleurs et des sensations exotiques au lecteur occidental, nous emmènent dans un mouvement dolant vers une réflexion sur la place de ceux qui vivent à la marge. «Je vivais dans un état dagacement et de confusion», dit-elle. Laccumulation des situations absurdes de son monde nous fait sentir cette confusion, cet agacement lancinant qui devient insupportable. La gymnastique des langues dans ces immeubles de banlieues où se massent ces «requérants» devient pour le lecteur un brouhaha indéfinissable où toutes les histoires finissent par se ressembler, les vraies comme les fausses.
Avant de lire, on sympathise par commisération avec cette jeune fille déracinée qui vit dune misère identique à la sienne. Au fur et à mesure de la lecture, impressionniste autant quimpressionnante, on se trouve au dehors de la sympathie, on plonge dans le même état desprit de violence potentielle, qui pourrait être dirigée vers le premier insolent qui nous adressera la parole, agacés et confus que nous sommes, par la faute dune existence «dargile».
Cest un livre plein de nerfs et de larmes non pleurées. Dune dignité complète, lhéroïne est détestable par ce quelle fait, et dune humanité incommensurable par ce quelle est. On reconnaît bien une société à la lumière de ceux quelle ne laisse pas entrer.
Lis Massart ( Mis en ligne le 05/11/2012 ) Imprimer | | |