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La voix des épuisés
Hubert Selby, Jr   Last exit to Brooklyn
10/18 - Domaine étranger 2015 /  7.80 € - 51.09 ffr. / 377 pages
ISBN :  978-2-264-06573-5
FORMAT : 10,8 cm × 17,8 cm

Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet (Traduction)
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Mort en avril 2004 à New York, Hubert Selby Jr avait la peau dure. Quand paraît Last exit to Brooklyn en 1964, cet homme de 36 ans fait déjà figure de rescapé. Jeune gaillard tôt engagé dans la marine, la tuberculose le débarque bientôt sur le bord de la vie. Quelques naufrages plus tard, le désespoir et la rage de n’être plus que l’ombre de lui-même l’ayant entraîné vers l’alcool et la drogue, il aborde l’écriture à 26 ans parce que «ne pas écrire [lui] faisait encore plus peur qu’écrire». Il mettra sept années à venir à bout de ce premier opus, tant accoucher de ce monstre lui aura été psychologiquement et physiquement pénible.

En six parties soigneusement agencées, Last exit to Brooklyn tend un miroir effroyable à l’Amérique bien pensante et puritaine de l’époque. Tous les réprouvés de l’«American way of life» se sont donnés rendez-vous dans ces sombres pages d’un naturalisme souvent éprouvant. Dans la première partie intitulée «Un dollar par jour», Harry et sa bande traînent leur vacuité au comptoir d’un bar minable où les mots répétés et les rires mécaniques rythment la violence des actes. «La reine est morte», dans un deuxième temps, immortalise Georgette, un jeune pédé de dix-sept ans qui rêve d’amour et qui écope de la bestialité trop longtemps refoulée de mâles honteux d’eux-mêmes. Le shoot à la benzédrine soulage ces égarés «voulant le mensonge maintenant». Ailleurs dans Brooklyn, voici «Tralala» qui se donne pour presque rien. Sans doute est-ce le peu de valeur qu’elle s’accorde dans ce monde où l’abjection triomphe. «La grève» suit les affres de Harry Black, pressuré par le système : sa dégradante condition d’exploité le dispute à ses problèmes de désir ; révulsé par les caresses de sa femme, il se réfugie auprès de travestis. «Bout du monde» nous plonge dans le quotidien d’une résidence : crises d’hystérie, couples boiteux avec enfant ou bassesses ordinaires entre voisins, tout illustre ici l’impasse où grouille une humanité désespérée.

Selby dresse ce terrible constat sans jugement, s’effaçant complètement derrière ses personnages. Pas de narrateur omniscient ni de clin d’œil ironique. L’auteur se sent trop proche de cette misère pour la condamner et préfère lui donner vie à travers l’âpre musique de son écriture. Voilà ce qui surprend d’abord : la voix des personnages, organiquement intégrée à la narration, résonne de tout son désarroi dans des phrases qui déroulent jusqu’à la nausée l’accomplissement de la violence. Pas de répit. Il s’agit bien d’une «musique pour le ventre» qui, comme l’œuvre de Stockhausen, induit une réaction quasi physique. Dès lors, on peut détourner le regard, ou accepter de vivre cette expérience du malaise qui nous éclaire avant tout sur nous-mêmes, sur nos zones d’ombre et nos errements. Accepter aussi, avec Selby, de regarder en face «les horreurs d’une vie sans amour» (c’est, selon lui, le sujet du livre).

A sa sortie, Last exit to Brooklyn fit évidemment scandale et fut interdit dans certains États des États-Unis et en Angleterre pour obscénité. L’envers du rêve américain venait de trouver dans ces pages une incarnation insupportable. Descendu par la plupart des critiques, il fut néanmoins soutenu par le New York Times qui lui reconnut «l’intimité avec la souffrance et la moralité, l’honnêteté et l’urgence morale commune à Dostoïevski». Vendu à plus de deux millions d’exemplaires, il jouit aujourd’hui du statut de livre-culte.

Au-delà de toute curiosité pour une œuvre sulfureuse, il faut aborder ce recueil en se rappelant que Selby prenait la plume «pour tous les cris qui cherchent une bouche», et qu’il lui fallut pour cela un courage et une ténacité qui font honneur à la littérature.


Pascal Falkowski
( Mis en ligne le 24/04/2015 )
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