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Littérature -> Récits |
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''Avez-vous tué, au Liban ?'' | | | Richard Millet Tuer Léo Scheer 2015 / 15 € - 98.25 ffr. / 120 pages ISBN : 978-2-7561-0920-6 FORMAT : 10,6 cm × 21,1 cm Imprimer
En 2009, Richard Millet publie La Confession négative, récit de sa guerre au Liban en 1975-1976, expérience fondatrice pour le jeune homme dalors, qui revenait en pleine guerre fratricide dans le pays où il avait passé une partie, heureuse, de son enfance. Mais tout navait pas été dit, semble-t-il. Richard Millet, artisan magnifique dune langue subtile et précise dévoilant une pensée complexe et intransigeante, a connu depuis les vicissitudes de la vie littéraire. Auteur dun pamphlet controversé sur Anders Breivik, mais aussi pourfendeur de lappauvrissement de la langue, déplorant la décadence de la civilisation, Millet fait aujourdhui figure de réprouvé des lettres, même si tout le monde saccorde à reconnaître ses immenses qualités décrivain.
Cest ici pour répondre à une interrogation cruciale qui lui fut un jour posée par une lectrice venue à une signature - «Avez-vous tué, au Liban ?» - que Millet reprend la plume et complète le récit de son engagement. A cette question posée à brûle-pourpoint, il na pu répondre ce jour-là que par un silence, tant le simple «oui» naurait pu permettre de rendre compte de la complexité de ses choix et des raisons qui lont poussé à sengager dans cette guerre et à saffronter à la mort, celle quon donne comme celle que lon reçoit.
Pour le jeune adulte de 22 ans, partir au Liban en 1975 relevait dune expérience éthique, celle de la rencontre avec lautre. Muré dans une forme de solitude quil le rendait imperméable à autrui, Millet part, conscient que tuer comme écrire relève de la vérité de lêtre. De son enfance en Limousin, baignée par les récits des tranchées et des guerres du XXe siècle, Millet a conservé lidée, aujourdhui étrangère à une jeunesse grandie dans létat de paix, que la guerre, outre lhorreur quelle provoque, permet de se retrouver, dadvenir à soi-même et de devenir écrivain.
Dans Tuer, Millet ne légitime pas tant la guerre en elle-même que sa propre participation. A rebours dune pensée dominante qui lui est insupportable et qui représenterait laction comme un spectacle, il estime, comme Malraux, quune vie peut être légitimée par laction dont la guerre serait lidéal-type. Cest le poids du modèle contre licône ou le simulacre promu de nos jours. On retrouve la trace de Drieu La Rochelle ou de Montherlant quand, sentant encore le poids de lacier contre lui, Millet retrouve la décharge de violence de la Kalachnikov et son évidence entre ses mains. Le contact avec lobjet, la réalité du combat, laffrontement avec un réel plus vif que celui des idées donne loccasion de devenir soi-même.
Cest du côté des Chrétiens libanais que Millet participe à la guerre, contre les réfugiés palestiniens et les «islamo-progressistes». Alors oui, Millet a tué des Palestiniens, à qui il dénie dailleurs le statut de victimes. Dans la quatrième partie de son ouvrage, il nous fait le récit de la mort quil donna à un Palestinien, introduit dans un immeuble que Millet et les phalangistes défendaient. Comme un tombeau quil édifie pour le combattant quil mit du temps à achever, lécrivain tente, par les mots, de sonder le mystère qui entoure une mort, accueillie comme une évidence par la victime et portée comme signe dengagement par lexécuteur dont la dernière rafale sonne comme un sanglot.
Tout au long de son court récit, Richard Millet se bat encore ; pour justifier une guerre dont il pense voir lhéritage dans le Moyen-Orient actuel, en proie à lautodestruction, pour déplorer le mépris dans lequel furent et seraient encore aujourdhui tenus les Chrétiens dOrient, mais aussi pour sattaquer à un Occident qui achève de se désagréger : en littérature, au cur même de ses racines chrétiennes ou bien dans ses campagnes désertées. Même sil agace parfois ou scandalise même, on ne peut sempêcher découter et de respecter la plainte de lhomme qui voit son monde se défaire.
Amélie Bruneau ( Mis en ligne le 16/09/2015 ) Imprimer
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