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Littérature -> Récits |
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Les charmes du Caravaning | | | Elizabeth von Arnim En caravane La Découverte - Culte fictions 2004 / 13 € - 85.15 ffr. / 250 pages ISBN : 2-7071-4298-0 FORMAT : 13x19 cm Imprimer
«Nous marchâmes, ce jour-là, en direction de Cantorbéry, une ville dont vous avez peut-être entendu parler à moins que ce ne soit pas le cas. Cest une ville anglaise, cela va sans dire, sinon nous naurions pas pu nous y rendre, qui est surtout connue pour son archevêque» : voilà le genre de propositions délicieusement absurdes qui émaillent cette hilarante parodie de récit de voyage, signée, en 1930, par Elizabeth von Arnim.
Comme son nom ne lindique pas, Elizabeth von Arnim nest pas allemande ; et son livre est traduit de langlais. Elle est née en Australie (en 1866), a grandi en Angleterre, fut la maîtresse de H.G. Wells et lamie de Katherine Mansfield. On aimerait dailleurs en savoir plus long sur elle et cest le petit reproche quon peut adresser à cette réédition, en format de poche, dun texte traduit en français pour la première fois en 1991 : pourquoi navoir pas ajouté une notice introductive sur cette femme apparemment passionnante ?
Elizabeth von Arnim doit son nom à son premier mari, le comte von Arnim-Schlagentihn, avec lequel elle a vécu dans le château que celui-ci possédait en Poméranie. En caravane est inspiré, paraît-il, dun voyage bien réel que les deux époux auraient fait en 1906, dans le Kent et dans le Sussex, en compagnie notamment du romancier britannique E.M. Forster.
Le coup de génie dElizabeth von Arnim est de choisir pour narrateur son propre mari, transfiguré sous les traits du baron Otto von Ottringel, un gentilhomme prussien à la quarantaine bien sonnée (mais qui ne ladmet pas vraiment), bedonnant (ce qui est une preuve de lexcellence de la cuisine de sa femme et, de façon générale, de lexcellence de la cuisine prussienne, et de façon plus générale encore, de lexcellence de la Prusse) et extraordinairement imbu de lui-même.
En caravane venge, dune manière magistrale, toutes les femmes qui ont dû subir en silence la tyrannie de maris moins doués quelles. Il ny a pas dans ce récit de revendications politiques bien précises (au reste, en 1930, le droit de vote pour les femmes était acquis en Angleterre et en Allemagne). Il faut dire que le baron von Ottringel, officiellement le rédacteur de ce livre, nimagine pas que le sujet puisse être abordé : «Voilà comment a pu naître cette créature asexuée, la suffragette, dont jentendis parler le premier jour du voyage et plus jamais par la suite, tellement mes réactions avaient été vives la première fois. Vous pensez bien que je ne métais pas abaissé à discuter pareille folie. Javais simplement asséné quelques vérités assez déplaisantes pour quils évitent de revenir sur le sujet».
Le baron, dailleurs, assène beaucoup. Sans vouloir piller ses idées de génie (il a «décidé de rassembler en un volume à part ses essais à caractère métaphysique»), on peut en proposer un modeste florilège, qui concernent lAngleterre («on essaya de me persuader que nous jouions de malchance et que les étés anglais étaient normalement inondés de soleil. Je nen crois rien. La Providence doit au contraire châtier chaque année lexécrable pays pour le punir dexister»), les Français («nos voisins vaincus, mais néanmoins intelligents»), la religion («Donner le droit de vote à des gens pareils [les pauvres] a été la seule erreur du grand Bismarck, cet Allemand exemplaire et quintessenciel. Songer quils détiennent une parcelle de pouvoir, si minime soit-elle, malarme tant que le dimanche matin, même quand jaurais bonne envie de laisser ma femme aller au temple toute seule, je coiffe mon casque de parade et me hâte daller consolider les piliers branlants de la société»), les socialistes («les socialistes sont des espèces de femmelettes»), la poésie (et «les dangers quelle fait courir à la virilité en général») et surtout les femmes, sujet sur lequel il est intarissable («toujours il a manqué [aux femmes] cette sensibilité frémissante qui a permis aux hommes de produire des uvres de génie, tandis que les femmes nétaient capables que de produire, mécaniquement, des enfants» ; «si seulement les femmes pouvaient comprendre que, leur jeunesse passée, elles nont de chance de se rendre agréables quen se montrant réservées, prévenantes, habiles aux soins du ménage bref en se faisant oublier , les hommes de sens rassis comme moi ne les en aimeraient que mieux», etc.).
Otto von Ottringel, à coup de vérités "profondes", transforme ainsi progressivement en cauchemar le voyage de la petite troupe dautant que rien ne lobsède tant que son confort et, surtout, ses repas. Il propose ainsi une vision réjouissante de cette nouvelle façon de voyager quétait, à la Belle Epoque, le «camping», ou «caravaning» : «Avez-vous le goût du confort ? Ne partez pas en caravane. Aimez-vous lordre et la décence en toute chose ? Ne partez pas en caravane». Le baron fait parfois penser aux héros de Trois hommes dans un bateau (1889), de Jerome K. Jerome mais en infiniment plus bête et plus prétentieux. Otto von Ottringel est une caricature du Prussien inculte, inapte à tout et ne rêvant que de gloire (le seul attrait des paysages anglais pour lui et de les imaginer gouvernés par un militaire prussien à la suite de linévitable victoire allemande lors dune prochaine guerre vivement espérée). Cest cruel pour la Prusse, pour larmée et pour les hommes ; cest cruel aussi, sans doute, pour le premier mari dElizabeth von Arnim ; cest peut-être injuste, on ne sait pas, mais on rit franchement.
Sylvain Venayre ( Mis en ligne le 16/04/2004 ) Imprimer | | |
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