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Gothique mit uns !
 Collectif   Frankenstein et autres romans gothiques
Gallimard - Bibliothèque de la Pléiade 2014 /  58 € - 379.9 ffr. / 1371 pages
ISBN : 978-2-07-012430-5
FORMAT : 11,7 cm × 18,0 cm

Édition établie par Alain Morvan avec la collaboration de Marc Porée
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Le volume 599 de la collection de la Pléiade se tient perché au sommet de quelque falaise abrupte et surplombe une vallée qu’oppresse une brume épaisse. Crénelé de chicots, ceint de tours délabrées, c’est un donjon littéraire dardé vers un ciel d’encre, où la course des nuages le dispute à une obsédante pleine lune. Qui s’y aventurera risque de croiser, sur les coursives ou dans les caveaux labyrinthiques en sous-sol, des silhouettes de moines fiévreux et agrippant leur froc d’une seule main, des femmes en cheveux à la beauté sidérante et traquées par on ne sait quel monstrueux prédateur, un hominien aux tempes couturées et au regard absent, ou encore, surgi d’un Orient fantasmé, un pacha sanguinaire au nom cinglant.

Les cinq œuvres rassemblées ici constituent les jalons allant de l’éclosion à la parfaite maturité d’un genre littéraire : le roman gothique. C’est Horace Walpole qui, en 1764, en signe avec Le Château d’Otrante l’acte de naissance. Le spécialiste Alain Morvan, en charge du volume, explique que, malgré ses dehors assez conventionnels, ce titre demeure d’une profonde originalité. Il est non seulement devenu un classique mais a également cristallisé la grammaire du genre. En effet, les étranges personnages qui le peuplent accentuent le climat angoissant d’une trame narrative où apparaissent les motifs voués à être réexploités dans de nombreux avatars futurs du récit gothique.

À propos du Moine de Matthew Gregory Lewis, notons l’élégant éloge adressé au travail d’Antonin Artaud, dont Morvan souligne certes la liberté mais plus encore les qualités d’empathie et de fluidité. Le Mômo offrait ainsi en 1931 «un texte revisité – mais revisité dans une belle fidélité à l’esprit et souvent à la lettre de l’original». La voici maintenant restitué dans ses authentiques fulgurances et son génie débridé.

Il faut aussi lire, avant ou après s’être replongé dans l’existence torturée du savant Victor Frankenstein et les tourments endurés par sa créature, l’excellente notice que consacre Morvan à Mary Shelley. Où l’on apprend que cette femme ne fut pas l’auteur de cette seule fiction, issue d’un défi en somme, et que l’interprétation de son Frankenstein doit dépasser la simple appréciation esthétique. Shelley y a posé, à travers une allégorie faustienne ressuscitée à l’orée du romantisme, des questions fondamentales sur la recherche scientifique dans l’Occident moderne, et qui trouvent encore aujourd’hui des prolongements dans des techniques et des expérimentations très débattues.

Mais la plus surprenante des découvertes parmi ce choix est peut-être le seul roman de la série à avoir été originellement rédigé en français, bien qu’il ait paru à Londres en 1786. Son auteur, William Beckford, bel esprit doublé d’un tempérament excentrique, annonce le dandy façon Wilde du siècle suivant. Le bougre prétendait ainsi avoir écrit Vathek en l’espace de trois jours, à l’issue d’une monstrueuse orgie… Laissons galoper cette légende qui sied si bien à l’imaginaire et à l’hubris déployés dans ces pages tendues de rouge cramoisi. Beckford met en scène, dans un contexte orientalisant à souhait, un calife qui, pour assouvir sa soif de pouvoir absolu, est prêt à tous les reniements, en premier lieu celui du Coran, et aux pires compromissions de l’âme. Un pacte conclu avec un esprit maléfique qui le bernera jusqu’au bout l’amènera à perpétrer des crimes affreux (dont le sacrifice de cinquante enfants) et entraînera toute sa cour à sa suite dans la spirale d’une ambitieuse folie. Flaubert avait-il lu l’«excessif et superlatif» Vathek avant de se mettre à Salammbô ? Cela n’aurait rien d’étonnant. Mallarmé connaissait en tout cas ce texte pour en avoir signé en 1876 une sublime préface, vers laquelle on retourne avidement, aussitôt que Morvan nous en apprend l’existence. La Pléiade est bel et bien une constellation dont les étoiles sont reliées par d’invisibles fils.

Si ce n’est pour L’Italien d’Ann Radcliffe, où il a bénéficié de la collaboration de Marc Porée, Alain Morvan a travaillé seul à la traduction et l’établissement de l’apparat critique de ce volume. À l’inverse de la démarche, souvent féconde, qui consiste à rassembler une équipe autour d’un spécialiste en charge de l’introduction générale et de la supervision des notices, la tradition old school du «curateur» unique garantit quant à elle une fusion quasi organique entre les œuvres présentées et le propos de l’exégète. En ce qui concerne son travail de philologue, Morvan a tenu à éviter tout anachronisme lexical, ce qui permet de réellement entrer dans l’univers fantasmatique comme linguistique de ces récits, dont la poéticité dense est conduite – comme on le dirait de l’électricité – par une impeccable traduction. Le foisonnant appareil de notes offre un contrepoint détaillé aux lignes de forces tracées dans les pages liminaires, où Morvan expliquait les origines (même étymologiques) du gothique, ses topiques, ses sources, ses confluences et le large delta qu’il dessine.

Pour investir les ruines branlantes et menaçantes du gothique, rien de tel donc que l’étaiement et le cimentage fournis par un érudit tel que Morvan, qui connaît chaque recoin de l’édifice, depuis les portes dérobées derrière les tapisseries jusqu’aux oubliettes et aux salles de torture… La bougie qu’il tient à bout de bras, en guide expert, ne prétend pas dissiper l’obscurité ambiante ; elle maintient, à l’intention de qui prétend les approcher, l’intégrité du mystère et de l’effroi, tout en traçant le juste chemin vers le cœur des ténèbres. Envoûtant !


Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 14/11/2014 )
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