| Robert Littell Philby - Portrait de l'espion en jeune homme Seuil - Points 2012 / 7 € - 45.85 ffr. / 283 pages ISBN : 978-2-7578-2670-6 FORMAT : 11cm x 18cm
Première publication française en novembre 2011 (Baker Street Editions)
Cécile Arnaud (Traducteur) Imprimer
Imaginons un jeune homme, anglais, dexcellente famille un père arabisant un peu original mais visionnaire, une mère plus traditionnelle -, bonnes études à Cambridge, quelques idées «sociales» qui lengagent un temps du côté du cercle socialiste de Cambridge
un péché de jeunesse. Le démon de laventure aussi, qui lengage dans un traditionnel «grand tour» européen jusquà Vienne, une Vienne en guerre civile. Là, coup de foudre pour une belle communiste, juive, quil épouse pour la sauver des griffes du nazisme. Au retour en Angleterre, lattend une carrière de journaliste, correspondant de guerre pour le Times, qui lemmène dans lEspagne de la guerre civile, côté franquiste : désormais «lancé», il intéresse les services secrets qui lengagent
Belle trajectoire !
Oui, mais : si ce jeune homme savère être effectivement un marxiste convaincu et non plus un jeune révolté, si sa jeune épouse était déjà une agente du NKVD, si elle était parvenue à lembrigader, et si tout son parcours jusquaux sommets du Special Intelligence Service (futur MI6) nétait quune magnifique campagne dinfiltration menée par les services secrets soviétiques, sous le regard de Staline en personne ? A moins que
On savait Robert Littell capable décrire un très bon thriller depuis son excellente fresque, La Compagnie, consacrée à la CIA
une histoire de taupe avec, en toile de fond, la guerre froide dans toute sa complexité. Louvrage, qui évoque les parcours conjoints dagents américains et soviétiques, sinspirait dun épisode réel : la présence au sein du MI6 dun groupe surnommé «Les Cinq dOxford» (Burgess, McLean, Philby, Blunt et Cairncross) qui, pendant dix ans, espionna le MI6 et la CIA pour le compte du KGB. Ce roman, à mi chemin entre le thriller et le récit, est de la même qualité, et sapparente à une «préquelle», évoquant le parcours erratique de Kim Philby, de Cambridge à lespionnage, puis comme agent double, découvert, fuyant finalement à Moscou où il fut traité en héros socialiste
Un parcours qui séclaire dans un final en forme de point dinterrogation (aussi séduisant que contestable).
Le traitement même de lhistoire est original : Robert Littell livre effectivement un portrait de Philby, un portrait croisé : par son épouse et quelques conquêtes, par ses amis (et complices en trahison : Burgess et MacLean), par ses chefs anglais et soviétiques, par ses agents traitants (victimes des purges staliniennes) et les analystes qui scrutent son dossier
Un «Philby vu par» passionnant, en ce quil livre un versant original de cet homme caméléon. On regarde dans le blanc des yeux cet agent double, voire triple, qui fuit dans lalcool les pressions du «grand jeu», joueur habile, trop sans doute, qui fascine lauteur et, par rebonds, le lecteur, facilement entraîné dans cette odyssée et sa conclusion romanesque. Un roman-thriller très original, tant dans sa forme que dans le fond, qui se dévore facilement. Pour retrouver le souffle de La Compagnie, dans une ambiance très Le Carré.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 26/11/2012 ) Imprimer
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