| James Salter Et rien d'autre Seuil - Points 2015 / 8,10 € - 53.06 ffr. / 432 pages ISBN : 978-2-7578-5338-2 FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm
Première publication française en août 2014 (L'Olivier)
Marc Amfreville (Traducteur) Imprimer
Phil Bowman est un jeune homme bien sous tous rapports : officier dans la marine durant la guerre, il est le soldat obéissant qui se réjouit de la seule attention de son chef. La vie civile le retrouve, de ce point de vue, intact : étudiant à Yale, il est un modèle de travail sans excès de comportement. Devenu éditeur sérieux (de bons romans à lindiscutable qualité littéraire), il est courtois, raffiné et subtil, exportable à linternational où ses bonnes manières font merveille. Phil Bowman est donc un garçon charmant, cest entendu, une vraie couverture pour Vogue homme, avec ses costumes chics, ses voyages en Europe, son whisky vespéral
Mais sous le costume trois pièces de léditeur sérieux bat un cur de midinette. Car Bowman cherche lâme sur, le grand amour. Hélas, il va de déception en déception : une WASP glacée, une Anglaise lointaine, une new-yorkaise infidèle, etc. Lhistoire de Phil Bowman est celle dun homme en quête de sens, pour sa vie quil voudrait
normale : un foyer, une épouse, le confort sentimental (avec quelques aventures occasionnelles pour être définitivement un bon bourgeois). Une sorte de variation sur le conformisme, sans la dimension populaire qui baigne le roman homonyme de Moravia. Cest sans doute le gendre idéal, mais la question, constamment réitérée de ce roman très réussi, est de savoir sil sagit de lhomme idéal...
Il est beau, ce roman de James Salter : le roman dune vie dont chaque phrase, chaque instant est comme écrit par un orfèvre, ciselé. On se promène doucement dans la vie de Phil Bowman, une sorte de Meursault américain. On rencontre beaucoup de gens dont lauteur nous détaille les hauts faits, nous invitant à nous asseoir à ses côtés dans son atelier décriture, deus ex machina littéraire : il y a là sa mère, ses beaux-parents, ses diverses conquêtes, ses associés, ses collègues, ses voisins, etc. Une galerie de portraits dont seul le lecteur connaît lissue. Ainsi, dapartés en digression, cest tout lunivers relationnel de Bowman qui se déroule. Chaque chapitre, léger, est une pièce différente, avec son thème propre, comme un fond musical, un tableau de groupe, où Bowman, au centre, fait figure d'icône ou danomalie.
On croise ainsi la marine américaine, les milieux littéraires, les WASPs, les ruraux, les londoniens, les jeunes... Il y a un petit côté «scènes de la vie dun homme» qui peut sembler mécanique ou artificiel, mais on se rattrape avec les mots, les apartés, les regards, et lhistoire dEddins, ce double de Bowman ou plutôt sa version humaine, charnelle, amoureuse, audacieuse. Certes, Bowman, au final, se lâche, devient méchant, se venge et sessaie même à la drogue (trois fois rien, un petit pétard). Mais dans lensemble, ce héros garde cette élégance un peu guindée face au malheur : de ce fait, il nest pas forcément sympathique mais il a un côté attendrissant, celui dun homme qui semble perpétuellement en décalage, et dont la passion couve sans jamais sexprimer franchement.
Une vie donc, de celles qui font les délices des amateurs de belle littérature américaine, comme un grand roman choral dont le héros principal, sans être le «narrateur», se promène entre les lignes, avec un sourire distancié et quelques peines de cur.
Gilles Ferragu ( Mis en ligne le 25/11/2015 ) Imprimer | | |