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Anatomie d’un livre
Daniel Pennac   Manu Larcenet   Journal d’un corps
Futuropolis Gallimard 2013 /  35 € - 229.25 ffr. / 384 pages
ISBN : 978-2-7548-0950-4
FORMAT : 24x33,5 cm
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Cette édition du Journal d’un corps n’est pas le premier roman illustré a posteriori par un auteur de bandes dessinées. Il y a déjà eu les différents travaux de Tardi sur l’oeuvre de Céline, et puis, l’année dernière, L’Étranger de Camus accompagné par les encres sinueuses de Munõz. Avec ce livre, il semble pourtant que l’on est devant le mariage évident de deux auteurs, de deux arts qui se retrouvent enfin. Au point qu’on ne saurait maintenant dissocier le texte de Pennac des dessins de Larcenet. Comme si, dans sa version originale, le texte, malgré ses évidentes qualités, manquait finalement de quelque chose, et que le travail de Larcenet avait su combler ces vides, rendant enfin complet, total, le manuscrit de Pennac.

Il faut dire que le texte se prête fabuleusement à l’exercice de l’illustration. Les notes de ce journal donnent des repères faciles, des images déjà fortement constituées. Le thème choisi est de plus propice à l’illustration: le corps, premier sujet de dessin chez tous les apprentis artistes. Le squelette, l’anatomie, la posture, la musculature, la silhouette… voilà quelque chose qui est fait pour être dessiné.

Et quelque part, Larcenet était fait pour illustré ce texte. Lui et pas un autre. Lui qui dans Blast, se plait à mettre en scène cette "grosse carcasse" de héros, ces corps déformés, lourds, ou au contraire tout sec car proche de la fin. Avec ce travail, Larcenet touche au sublime, et c'est toujours un plaisir de voir comment évolue, au fil des livres, le dessin de l'artiste, toujours plus assuré, toujours à la recherche de quelque chose de nouveau. On en connaît qui en serait à écrire le douzième tome de Bill Baroud, confortablement installé dans une routine pépère. Mais les livres de Larcenet témoignent toujours d'une envie d'autre chose, de changement, de risque. Et c'est bienvenu. Ici, il développe, dans la droite lignée de Blast un style noir et granuleux, fort et percutant. Il faut voir ses illustrations, prendre le temps, elles rythment la lecture et deviennent des passages à part entière: l’encre de Larcenet se plie au sujet jusqu'à fusionner avec. Le sang évidemment est d’encre, et de là découle tout le reste: les nerfs sont des traits, les veines sont des grosses lignes, les rides des griffures, les yeux des trous noirs, les dents des blocs hachurés, les cheveux et les poils des filaments, les mines charbon. C’est la ligne dans tous ses états, petite, pointue, épaisse, piquante, méchante, souple ou soyeuse. Si le corps est fait pour être dessiné, le dessin est de son côté un corps à part entière. Dans L'Artiste de la famille, Larcenet écrivait: "Les traits s'enchaînent, noirs, dans une frénésie et un chaos mental indescriptibles. (…) Il me faut évacuer, faire couler la plaie". Déjà, corps, fluides et dessin étaient intimement liés.

Le Journal d’un corps, c’est donc le récit d’un homme non pas via ce qu’il pense ou ce qu’il fait, mais à travers toutes les expériences vécues par son corps: de la crotte de nez à la prostate, du bâillement à la branlette. Le texte est magnifique, à la fois drôle, ludique et profondément émouvant. C'est que Pennac parle de nous, sans pudeur ni rougeur, et fait le tour de ce "sac à surprises et pompe à déjections" avec une maline précision. Il décrit ce que sait que d'être un homme dans sa plus grossière expression (le corps et donc pas l'âme), mais avec la finesse d'un entomologiste. L’exaltation amoureuse, la douleur de la perte, la vieillesse... ces thèmes largement abordés, sont ici vus sous un nouveau jour, un angle neuf qui les fait ressembler à quelque chose d’inédit en même temps qu’évident, et donc bouleversant.

Toute la malice de Pennac tient dans ce pari fou, ne rien raconter de l’homme mais tout raconter tout de de même. Même si on prend le narrateur rapidement en sympathie, on ne saura pas si celui-ci était finalement un parfait abruti avec les autres, un méchant. Sa réussite sociale apparaît à travers les lignes mais après ? Au détour de quelques confidences, on en apprend plus sur ce qu’il aime, ce qu’il fait, mais au final, le pari est tenu, on est resté dans ce corps, comme dans un sous-marin, en totale immersion du début à la fin. A-t-on vu journal plus intime ?

C’est un superbe livre donc, grandiose, universel, doté de plus d’une maquette irréprochable ample et élégante. La table des matières en fin d’ouvrage est le petit plus non négligeable qui permettra, à l’envie, de se replonger dans telle ou telle note avec plaisir, et de goûter à nouveau quelques morceaux de corps délicieux.


Alexis Laballery
( Mis en ligne le 23/04/2013 )
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