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Beaux arts / Beaux livres -> Architecture & Design |
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Le bottin des courageux et des intransigeants | | | Claude Parent Portraits d'architectes - Impressionnistes et véridiques Norma - Essais 2005 / 25 € - 163.75 ffr. / 173 pages ISBN : 2-909283-98-4 FORMAT : 13,0cm x 21,0cm
L'auteur du compte rendu : Emmanuel Cros étudie larchitecture au Bauhaus de Weimar en Allemagne. Imprimer
Claude Parent réunit soixante-huit courts portraits et un autoportrait. «Brossés sous une impulsion irrésistible [ce] sont ceux damis ou de compagnons dont jai pu partager lintimité à un moment bref ou sur longue durée de ma quête architecturale» (p.9) ; presque tous architectes de leur métier, et surnumérairement mâles.
Après Cuit & Archi-cuit, Parent nous donne à goutter le gratin. Ce titre précédent paru sans laisser dadresse «Les architectures hérétiques» seul en guise de nom déditeur et distribué "dans quelques bonnes crémeries", faisait du petit monde internationalisé de larchitecture une méga tambouille, un pot-pourri allègrement assaisonné, une fantaisie culinaire dun vieux chef toqué.
Avec ces Portraits, Parent décrit ses goûts préférés, ses convives doccasion, ses hôtes autour du monde; il liste par lalphabet sa compagnie et tous ceux quil admire et, dans la circonstance, se proclame gourou ressuscité. Car il semble que peu se souvenait encore dArchitecture Principe et de la Fonction oblique quil inventait dans les années 60 avec son ami et associé Paul Virilio. Alors il remercie de lavoir exhumé de loubli Frédéric Migayrou aujourdhui conservateur en chef au Centre Pompidou des départements darchitecture et de design. Les «Architectures non standard», sortes darchitectures "prospectives", y étaient à lhonneur dans une grande exposition en 2004. Dans cette communauté, Parent fait figure de patriarche.
La relève est donc en marche et Claude Parent peut croire sa descendance assurée. Larchitecture de Shadoks a fait des petits
les Barbapapas. Parent a fait le voyage dArchilab, est allé à la foire dOrléans, «la capitale folle de larchitecture fun» (p.93). Il en est revenu émerveillé des "blobs", des distorsions, de la tectonique infernale. Là-bas, il a fait don à ces héritiers dune partie de son fond darchives au FRAC Centre, collectionneur darchitectures, lautre part ayant était emportée bien avant par un ami belge, Maurice Culot, pour les Archives darchitecture moderne (pp.47-48).
La descendance dont il se cache dêtre le plus fier, cest certainement celle de ses successeurs qui lont depuis longtemps dépassé, lesquels se nomment Jean Nouvel et François Seigneur. Ces deux-là ont débuté leurs carrières chez Parent. Si, à propos de larchitecte Paul Chemetov, il parle des «créatures [placées par celui-ci] aux carrefours dun réseau tout à sa dévotion» (p.36), désignant à la fois ses protégés, ses agents et ses clones, Nouvel et Seigneur sont, eux, des affranchis. «Comment ai-je pu faire un fils pareil ?», sinterroge Parent esquissant Jean Nouvel.
Des portraits dessinés en miroir des textes, citons également ceux dOdile Decq, de Pierre Parrat et dEric Owen Moss. Le reste des dessins, une cinquantaine au total, est distribué en intermèdes entre les portraits. La plupart sont des commentaires dessinés en forme dautoportraits, dont on ne sait vraiment sils sont impressionnistes ou véridiques. On reconnaît Parent, la moustache fournie, les lunettes parfois et toujours la cravate sur le costume, inhabituelle chez les architectes. Ils ont la brièveté des dessins de presse, révélés par une phrase commentaire, une brève légende.
Différent des dessins qui paraphent le livre, lautoportrait qui le ferme (pp.171-173) est en forme de justification de cette galerie de portraits. La sensibilité que lon perçoit dénote une force de caractère que Parent doit envier à lun de ses amis, le critique Patrice Goulet. «Sa méthode : ne rien affirmer pour confirmer un choix toujours autoritaire/ Argumenter très peu, ne se justifier jamais» (p.68). Pour le portrait robot de lami de Parent nous dirons que cest sauf exception un confrère, quil est policé mais dur, autoritaire, ravageur, égoïste aussi, crâne (Jean Nouvel et Claude Parrat surtout !), indomptable, opportuniste et possiblement mégalo. Des moins détestables on jugera quils sont indépendants desprit. Notons que pour Claude Parent, beaucoup, sils nétaient architectes devraient être «prêtres, moine, pasteur ou évêque», tellement leur engagement dans la discipline est profond, toutes obédiences confondues
Réservé aux initiés, on résumera quil sagit de lannuaire des courageux le mot reviens sans cesse et des intransigeants, tellement ils sont entiers ! Claude Parent écrit à propos du duo autrichien prénommé Coop Himmelblau : «on ne peut que les adorer ou les haïr (
) cest comme ça, on avale ou on crache.» (pp.44). Et quest-ce qui réunit ces deux catégories ? Courageux ou insupportables, ils sont seuls contre tous. Voilà qui est sans nouveauté. On savait déjà quarchitecte français est la profession la mieux divisée, jusquau dernier, pourtant peuplée de mousquetaires. Quest-ce qui fait mousquetaire ? Chez Parent : lécriture au galop peut-être, la moustache sans doute. Rendons toutefois à Claude Parent les qualités qui sont les siennes, celles darchitecte vrai, de polémiste, de dessinateur hors pair, de théoricien de la Fonction oblique. Et puis Claude Parent fait rire, et ça, cest une valeur conservatoire : Parent est encore vert !
Emmanuel Cros ( Mis en ligne le 05/02/2006 ) Imprimer | | |
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